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Libéral, libertaire, libertarien; de Hayek à Proudhon

Libéral, libertaire, libertarien; de Hayek à Proudhon

La sécession géo-éducative des élites mondialisées et la montée des populismes dans le monde marquent la fin d'une époque politiquement stable où les démocraties dites « libérales et représentatives » fonctionnaient sans grands heurts sociaux, économiques et politiques. Ces deux dernières décennies, cet équilibre relatif s'est rompu et des bouleversements d'ordre planétaire nous ont secoués les uns après les autres. Nous avons vu monter l'atomisation sociale des majorités précaires non mobiles, nous avons vu les géants GAFAMs (Google, Facebook, Amazon, Apple, Microsoft) démolir le cadre économique des médias de masse, nous avons vu la crise économique de 2008 et l'élection de Trump mettre à jour la réalité de la guerre économique de dimension globale, nous avons vu la baisse drastique de la mixité sociale éducative, et nous avons vu la crise de représentativité démocratique affecter tous les corps intermédiaires de la société. De même, les artefacts et connaissances des temps passées tendent à perdre en puissance à force d'être utilisés à toutes les sauces et campagnes marketings. À une époque où il est difficile de retrouver les bonnes définitions – et les contextes historiques qui sont associées à ces définitions – il n'est pas étonnant de voir que trois mots à la même racine latine (libéral, libertaire et libertarien) – liber – soient perçus de manière antinomique – tels trois factions ennemies qui doivent faire lutte à mort jusqu'au dernier survivant. Et pourtant...La marque de la liberté est porteuse de l'histoire de l'évolution de notre civilisation. En son nom nous avons construits des nations, coupés la tête du Roi, écrits des constitutions et définis le cadre ; l'ordre de nos lois, démocratisés la culture et sans cesse innovés partout, dans tous les domaines, par-delà vents et marées, jusqu'à s'en brûler les ailes ; jusqu'aux horreurs de la bombe et des chambres à gaz. À défaut de pouvoir croire au progressisme historique dans la marche du monde telle une flèche sans cesse ascendante, les libéraux, libertaires et libertariens partagent tous comme perspective la limitation des contraintes sur l'individu afin de favoriser l'émergence de la créativité et de la grandeur des dynamiques humaines.

Front idéologique chez les libéraux

La première de nos confusions s'ancre à travers même de ce que l'on considère être « libéral ». Très mauvais départ. Pour répondre à cette question, plusieurs font des énumérations, certains choisissent l'emphase sur des concepts précis comme « l'état de droit », d'autres encore vont nous renvoyer à des déclarations de l'homme et du citoyen, des définitions scolaires et d'autres arguties comme une « théorie de la justice ». Long soupir.

Pour ma part, je préfère y aller de mon triptyque pour représenter la mythologie des « démocraties libérales représentatives » : tout d'abord, 1) l'individu doit être libre de penser ; doté d'un libre-arbitre qui lui permet de choisir ce qu'il considère être la vie bonne, de contracter sa force de travail et d'échanger des valeurs pour l'amener vers cette vie bonne. Ensuite, 2) l'individu doit pouvoir entreprendre ; que cela soit pour construire sa propriété, un jardin privé, ou en vue de s'associer pour le bien commun et faire profit. Finalement, 3) les individus doivent être égaux entre-eux devant la loi ; avoir un accès aux institutions et à la justice de manière équivalente entre-nous, mais aussi face aux autres institutions, qu'elles soient privés ou publiques!

Cette définition sommaire jette les bases des désaccords entre les diverses factions libérales. Tous les libéraux s'entendront sur les trois points de la définition, mais vont s'opposer sur des enjeux secondaires : 1) la taille de l'état pour répondre aux enjeux sociaux, 2) le degré de centralisation des politiques publiques et 3) l'épaisseur en nombre de mètres des législations et régulations sensées prendre en compte toutes les éventualités bureaucratiques qui sont évaluées dans l'univers possible et plus loin encore. Il s'agit du spectre rampant de l'étatisme administratif, menant à l'autoritarisme – appelons cela le « syndrome énarque » en l'honneur au modèle politique français qui en est l'incarnation parfaite.

De libéral à libertarien

Pour magnifier le spectre rampant de l'étatisme qui menace l'individu moyen, aucun discours politique ne bat celui des libertariens américains, de Ron Paul à Hayek, en passant par notre Mad Max de la Beauce. Ils sont obsédés par cette menace – souvent avec raison, surtout sur le long terme – d'une croissance tumorale – les agences de l'état, ses bureaucraties, ses fonctionnaires protégés, ses dépenses, son pouvoir de coercition, ses monopoles, ses régulations, ses taxes – qui ne peut que déstabiliser les marchés, provoquer des distorsions dans l'économie et fragiliser la société face aux imprévus et dégâts du temps. En plus d'une présence dans l'économie limitée, le libertarien souhaite être maître chez lui, dans ses moeurs et dans sa liberté de penser et de croire. Il porte quelquefois la liberté jusqu'à désirer être totalement émancipé de l'assurance sociale de nos sociétés, voir même vivre en survivaliste hors de la vie moderne.

De libertarien aux libertaires

Que l'on regarde à gauche et à droite, les libertaires et les libertariens seront circonspects devant les agissements de l'état, mais aussi devant ceux des corporations gigantesques telles les GAFAMs. Par contre, de la « droite libertarienne » au « socialisme libertaire » il y a une grande marche; la pilule est dure à avaler pour plusieurs. Surtout lorsque notre vision du socialisme est celle d'un Marx tout puissant, armé de son « socialisme scientifique », son « matérialisme historique » et sa « lutte des classes vers l'émancipation ». Peu se souviennent pourtant qu'à l'époque de Marx vivait aussi des précurseurs et des contemporains à son socialisme autoritaire. Ainsi se fractionne les courants socialistes, certains se rapprochant de l'étatisme de Marx, d'autre allant vers l'anarchie et la démocratie directe, et quelques-uns, des libertaires descendant de la « théorie de la propriété » proudhonienne, vont tenter de penser la « question sociale » – la lutte contre la pauvreté et les difficultés du peuple précaire – en acceptant mais limitant la taille et la portée de l'état, le tout pour favoriser la construction de nouveaux types d'associations et de solidarités ayant comme but le « bien commun » avant les profits.

En conclusion, pourquoi je ne suis pas un conservateur

Friedrich Hayek termine son « The Constitution of Liberty » en soulignant « pourquoi » il n'est pas conservateur. De la même manière, le socialiste libertaire et populiste que je suis ne peut que faire de même. La marche du monde est beaucoup trop complexe pour s'abandonner dans l'immobilisme ou la réaction puritaine. Les réalités de la guerre économique globale, de l'atomisation des masses, du choc démographique, de la crise de la culture et de l'immigration de masse recoupent une multitude de systèmes complexes inter-reliés qui forment un cadre de base dangereux autant pour l'émergence des pouvoirs centralisés étatiques à la chinoise que pour la portée des GAFAMs dans nos vies privées. Malgré tout, ce cadre, cet ensemble de « crises », est une opportunité politique, économique et démocratique pour tous les Québécois... enfin s'il est compris dans sa dimension complexe plutôt que dans la perspective des « relations de pouvoir oppressantes » et autres pitreries adolescentes. Cette décennie pourrait être celle qui mettra le Québec sur la liste des nations émancipées si nous sommes capables d'entreprendre un virage politique majeur : si la vague populiste nous amène des politiciens d'envergure, des entrepreneurs ambitieux et des intellectuels hors-format.


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