« Le baroque, voilà le nom de cet autre monde de vitalités, d'énergies et de puissances conjuguées. Le libertin évolue dans ce théâtre des forces, le philosophe libertin à ses côtés. »
- (Michel Onfray, Les libertins baroques, contre-histoire de la philosophie t. 3)
Chaque
matin la planète est réveillée par les « tweets » de
l'agent Orange1.
Bio-hackés par nos téléphones plus intelligents que nous, nos
réseaux neuronaux s'en retrouvent affectés; la neuroplasticité et
le mode de vie « en ligne » reconfigurent notre manière
de penser pour maximiser la lecture superficielle et les décisions
rapides2.
Pour maximiser nos besoins quotidiens d'hormones libidinales, nous
surfons sur les médias numériques, nous suivons le courant des
couleurs, décidons entre deux options rapidement, nous cliquons,
cliquons, cliquons sans arrêt, nous remarquons du coin de l'oeil
tous les mouvements sur les pages du cyber-espaces, à l'affût de
l'afflux de stimulis de cet habitat. Chaque interaction positive nous
élève rapidement hors-sol, quelle euphorie. La sécrétion des
hormones du plaisir n'a d'égal que son pendant négatif; l'hormone
du stress – ce sacré cortisol – qui est sécrété après une
interaction sociale où nous vivons du rejet3.
Le mode de vie addictif nous maintient dans un état de stress
permanent, à la recherche de notre prochain « hit »;
notre prochain « like ». À la longue, parce que le
négatif l'emporte toujours, chaque mauvaise interaction devient « la
goutte qui fait déborder le vase ». On en vient à ne plus
voir passer le temps, jusqu'à fourvoyer notre horloge interne et
pousser à l'insomnie. Hystérisés par l'emprise des mauvaises
nouvelles, du stress et de l'insomnie, nous en venons à intenter des
procès d'intentions à la planète entière pour « invisibilisation
et négation de nos micro-oppressions ressenties ». Le flux
ininterrompu de lumière bleue accédant directement à notre système
nerveux central est capable de stimuler l'ensemble des zones
émotionnelles du cerveau de manière personnalisée; en fonction de
nos champs d'intérêts, de notre alignement politique, de notre
origine ethnique et de nos « papilles morales »4
Assaillis par une quantité incalculable d'informations, le plus
souvent inutiles, nous tombons en surcharge cognitive, subissant plus
facilement l'envahissement de notre psyché par ce flux de négativité
présent dans le cyber-espace. À force de devoir voguer dans cette
mer infestée de parasites sociaux, c'est de peine et de misère que
nous allons jusqu'à notre lit, pour recommencer le même cirque à
chaque jour de l'année et sans interruption.
Jusqu'à
quel point un individu normalement constitué peut-il se lever chaque
matin, consommer et naviguer ce flux de forces, de lumière et
d'informations sans broncher, sans être affecté d'une quelconque
manière? Je ne crois pas qu'il soit possible de répondre à cette
question sans exagérer et sans se prendre pour une sorte de prophète
des temps modernes... ce que je ne suis pas. Par contre, ce que je
suis, c'est l'auteur de ma propre histoire; du récit de ma vie. Une
histoire remplie de souffrances et de plaisirs, d'énergie et de
puissance, de vitalité et de beautés; la somme de mes expériences
esthétiques.
Comme
tout le monde ou presque j'ai vécu l'avènement des forces et des
puissances du monde numérique. J'ai aussi ressenti les effets de
l'addiction. En même temps, tout cet univers est un nouveau
continent de socialisation; c'est la démocratisation de l'accès à
la connaissance et la possibilité de la mixité sociale qui s'en
trouvent regénérées. Ces mer de connaissances sont des réservoirs
d'idées amenant des dynamiques non prédictibles dans l'expression
du fait social. L'esprit libre n'est pas celui qui se détourne
entièrement de ces forces, mais plutôt celui qui s'y abreuvera en
refusant de s'y noyer. Agir dans le doute et la modération.
Nous
sommes affectés individuellement et psychologiquement par un monde
en transformation, un monde mondialisé et rempli d'innovation. De
même, à l'échelle des sociétés le désordre social est
saisissant et les censeurs s'en donnent à coeur joie. La marée
populiste monte; en reflet de la polarisation politique et
médiatique, les guerres de religion et le terrorisme imprègnent la
terre de souffrance, autant à l'étranger qu'en occident. L'économie
et les relations internationales se meuvent sur du sable, instable,
imprédictibles, sensibles aux vibrations et commotions chaotiques
des agents politiques, militaires et industriels, à l'image de la
psychologie de l'agent Orange, mais c'est bien la superstition de la
plèbe, du vulgaire, de l'ingénue, qui remporte la palme. Se
glorifiant de remettre en cause la science à tous les niveaux;
vaccination, climat, économie, contagion, partout ces ramancheurs
idéologiques sévissent, calquant leurs remèdes sur des
connaissances vulgaires et une absence de rigueur dans l'application
de la méthode scientifique. Ces agenouilleurs utilisent les
artifices de la raison, mais le font dans l'absolu, tels des
observateurs objectifs de la machine cartésienne. Leur pseudo-rationalisme
s'évertue à se réclamer de la Lumière, tout en ne voyant que des
structures et des systèmes avec des lettres majuscules :
Capitalisme, Néo-libéralisme, Patriarcat, Colonialisme,
Impérialisme, Fascisme, Racisme systémiques... tout ce que ces
poètes post-modernes, ces artisans du théâtre de la foire
contemporaine, ces artistes de l'événement bobo-urbain-éduqué de
l'heure, peuvent voir, n'est qu'une parodie de la réalité.
Le
portrait de l'époque est imprécis. Le rythme de la musique
s'emballe pendant quelques temps, puis selon les goûts et les
événements médiatiques du moment. Les forces nous dépassent, nous
déforment, nous manipulent dans des élans baroques, dans la
démesure. Les codes sociaux changent rapidement. Ce qui était
accepté il y a à peine quelques années ne l'est plus du tout
aujourd'hui. Les moeurs se purifient, les cercles se renferment sur
les identités imposées, les coeurs s'assombrissent, les codes et
l'éthique s'oublient. Vous avez le choix, c'est le scandale ou
l'isolation. Le fait intime, privé, amical, peut devenir
instantanément objet public, l'instant d'une photo, un vidéo, un
« tweet ». La terreur n'est pas celle du bûcher, mais
celle de la mise-à-nue publique. L'imposition d'une pénitence.
Il
est facile de toujours faire des comparaisons entre le présent et
l'époque de la seconde guerre mondiale. Trop facile même. Chaque
semaine depuis le 11 septembre 2001 et chaque jour depuis 2016 –
l'élection de l'agent Orange – on nous annonce un nouveau Hitler,
un nouveau Mao, un nouveau Pétain. Les étiquettes d'idiots utiles
et de collabos sont lancées à gauche, à droite et au centre. Les
repères politiques, identitaires et culturels ne sont plus
nécessairement les mêmes au sein même des populations. La langue,
la culture, la religion, la nation, l'organisation familiale5,
reviennent nous hanter avec des effets rebonds qui portent sur les
longues durées – les décennies, les siècles. L'humain est autant
universel qu'il varie dans ses spécificités sociales, face à un
climat et vivant sur une géographie donnée. L'instabilité
permanente à laquelle je fais référence n'est pas celle d'une
guerre mondiale, manufacturière de millions de morts et de chambres
à gaz. Cette époque était celle des États industriels forts,
centralisés, avec une machine ouvrière puissante, des chaînes de
montages et du fer partout, le charbon dans l'air, le pétrole dans
le sang. Les forces énergétiques des sociétés humaines sont
devenues depuis beaucoup plus raffinées, en quête de sources et de
matérieux aux formes plus diverses. Les villes, les nations, les
marchés économiques occupent des niches de plus en plus
spécialisées, l'information, le capital et les travailleurs
gravitent au sein de ces ensembles de plus en plus rapidement.
Partout les signes de croissance... comme les épisodes de crises, se
répètent à l'échelle planétaire.
On
dénombre plus ou moins 900 grandes corporations présentent dans
plusieurs états sur la planète6,
rajoutons à cela les gouvernements des états, les milices, les
mercenaires, les groupes terroristes, les dissidents politiques, les
bandes criminalisées et les acteurs indépendants, nous avons une
marmite où se sont les ligues d'intérêts qui dominent le paysage.
Nous ne sommes ni à l'époque du Front devant le nazisme, ni à
l'époque de la Guerre Froide contre les communistes. Toutes les
dynamiques se complexifient sans cesse. De nouveaux acteurs entrent
en jeu à chaque année; pour preuve la montée en puissance des
GAFAMs américains – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –
ou de leurs équivalents chinois, les BATX – Baidu, Alibaba,
Tencent et Xiaomi – qui ont pris possession du marché mondiale des
données numériques en moins de 10 ans.
De
toutes ces perspectives envisagées, l'individu se retrouve assiégé.
La mondialisation l'affecte à tous les niveaux; sa psychologie et
ses comportements individuels, sa manière de socialiser,
d'entreprendre et d'échanger, sa manière de concevoir le fait
politique, l'association et la ligue d'intérêts. Tout notre univers
mental est en mutation anthropologique.
La
mutation technologique des réseaux sociaux, la mise à mal des
États-Nations et le nombre de plus en plus grand d'entités capables
de nuire aux intérêts individuels m'ont poussés à enquêter sur
l'époque de la première mondialisation européenne7
afin d'y trouver un état de la planète qui se compare au nôtre,
même si ce n'était qu'à des échelles différentes. L'instabilité
actuelle, beaucoup plus rythmée, fait écho à celle du Grand
Siècle. La démesure baroque est dans l'air. Le libertinage
d'opinion tout autour de nous dans la sphère privée. Peut-être que
les remèdes des Esprits Forts de l'époque pourront répondre au
même mal qui nous habite à l'heure actuelle.
Un
« remake » de la Crise de la conscience européenne; un
thriller d'enquête où j'interrogerai les protagonistes de l'époque;
un journal de bord que j'intitule : les méditations libertines.
1Donald
Trump, président des États-Unis
2(Nicholas
Carr – The Shallows) Appuyé par des données empiriques et des
modèles issus des théories en neurosciences, on peut décrire les
zones du cerveau stimulés par l'activité sur internet et comparer
avec la lecture de livres réels. Les zones stimulées diffères.
3(Robert
Sapolsky – Behave) Une revue en profondeur de la somme des
intéractions entre la génétique, les neurosciences et la
psychologie évolutive dans l'étude de l'homme et du fait social.
4(Jonathan
Haidt – The Righteous Mind) Appuyé par des résultats de scans
cérébraux et une gigantesque banque de données de sondages, Haidt
et son équipe ont développés un modèle de 6 « papilles
morales » qui permet de comprendre les intentions politiques
derrière les prises de positions morales des trois grandes
tendances politiques en Amérique du Nord : les libertariens,
les libéraux (la gauche) et les socio-conservateurs.
5Lire
« Emmanuel Todd – Où en sommes-nous? » pour des
détails sur les particularismes démographiques.
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