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Chronique du Bas-Empire occidental

Chronique du Bas-Empire occidental 

Depuis le début de l’année les tensions diplomatiques et les épisodes guerriers se multiplient partout sur le globe. Le retrait des Américains du Moyen-Orient a provoqué un appel d’air et un ré-équilibrage des forces en puissance dans la région. Les technologies de l’information ajoutent à cette réalité géopolitique en limitant le pouvoir des nations secondaires dans leurs métropoles, en plus de redonner aux puissances historiquement impériales une capacité de projection qui avait été oubliée suite à la « victoire de la démocratie », l’effondrement de l’Union Soviétique et la « fin de l’histoire » en 1991. Cette fin de l’histoire nous a endormie pendant toute la jeunesse de ma génération et aujourd’hui nous revenons malgré nous à un cycle d’impérialisme et de course à la colonisation. La course à la colonisation de l’espace, de la lune, de mars, de l’Afrique et du cyber-espace. Une course vers l’innovation technologique, vers la sécurité énergétique et la suprématie informationnelle. 

Le Bas-Empire occidental, c’est une juxtaposition de plusieurs réseaux qui se sont épuisés et qui se désagrègent depuis la crise économique de 2008-09 : l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), les Five Eyes (Alliance des services de renseignements des USA, de l’Angleterre, de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande), la zone EURO (Traités d’union monétaire des pays d’Europe), l’Union Européenne (Traité politique unissant des pays européens), des dizaines d’autres réseaux avec des typologies différentes reliant les restants d’empires européens, et des états vassaux, aux États-Unis d’une part, puis tout ce beau monde qui se trouve relié à d’autres espaces géo-stratégiques contrôlés par d’autres empires (et leurs états vassaux)… qui n’ont plus peur de montrer leur force, d'autre part. Des empires qui se réveillent comme l’empire du Milieu de la Chine, son aristocratie rouge et la clique du Hébeï de Xi Jinping, la Russie du Tsar Vladimir Vladimirovitch Poutine, du KGB, de l’église orthodoxe et de l’aristocratie tsariste, ou encore le califat turc d’Erdogan et des Frères Musulmans. 

En plus de la scène politique internationale qui se réchauffe, nous avons chez nous en occident une suite de dynamiques inquiétantes qui nous déstabilisent profondément : 1) une vague importante de migration qui amène une insécurité physique et culturelle, 2) des épidémies sanitaires qui ont un impact jusque dans nos statistiques démographiques, 3) une montée du populisme qui polarise les appareils politiques et médiatiques, 4) un lent effondrement des services publics du à une mauvaise gestion centralisée, 5) une sécession des élites culturelles, médiatiques, politiques, académiques, judiciaires avec le reste de la société, et 6) la formation de plusieurs monopoles dans les domaines de la santé, des médias, des télécommunications, des plateformes numériques, de l’énergie, de l’armement, des assurances, des banques, et souvent via des énormes fonds de retraites publiques*** (donc si vous êtes fonctionnaires vous favorisez ce régime corporatiste) qui entrent en conflit direct avec les états et avec les populations. Nous vivons la peut-être mort du Léviathan et l’émergence des Grands Anciens prenant pour noms Google, Amazon, Facebook, Apple. Des créatures d’envergure cyclopéenne et qui ont pour ambition de se séparer la planète avec les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) chinoises (et les quelques méga-corporations qui suivront), en utilisant le culte de la diversité intersectionnelle comme discours politique totalisant. Depuis le début de la guerre commerciale du président populiste Trump, en 2018, cette offensive totalisante s’est peu à peu radicalisée, pour arriver aujourd’hui au point d’une censure effective des médias alternatifs (sur les plateformes GAFAs) afin de garantir le résultat de la campagne présidentielle américaine. 

Dans « La philosophie antique » et dans « Lucrèce », Pierre Vesperini porte une attention particulière à un élément particulier de la transition entre la république romaine et l'empire romain. Cette transition s'opère de fait mais jamais dans les mots : « Avec le nouveau régime installé par Auguste, l'Empire, les Romains se retrouvent donc sujets d'une monarchie, c'est-à-dire pour eux d'une tyrannie, mais d'une tyrannie qui ne dit pas son nom; ce tabou est constitutif du nouveau régime. » (idem). Pour légitimer leur pouvoir, les empereurs vont d'une part commencer à censurer certains textes en circulation (et faire tuer/mourir plusieurs individus : exil, suicide, emprisonnement, etc), mais surtout ils utilisent le pouvoir des discours philosophiques pour procéder à une mutation anthropologique importante. Cette mutation anthropologique, c’est l'instauration de deux principes dans la mémoire collective : 1) « le pouvoir de l'empereur est légitime parce qu'il s'insère dans l'ordre de l'univers, régi par les dieux. Il y a donc un fondement théologique cosmique au pouvoir de l'empereur. Cet ordre divin peut prendre différents noms, différents modèles venus de la philosophie : Harmonie, Nature, Loi naturelle, Providence. L'essentiel, c'est que le pouvoir du roi s'insère dans cet ordre divin de l'univers. » (Idem) et 2) « le pouvoir de l'empereur est légitime parce que l'empereur est un sage. Ce principe s'accorde avec le premier, dans la mesure où l'ordre divin de l'univers ne peut choisir qu'un sage pour gouverner le monde. » (Idem) 

À partir de ces 2 principes, le Bas-Empire romain créera de fait 3 figures de pouvoir capables de légitimer et renforcer le pouvoir de l’empereur : 

A) définir « l'empereur comme loi vivante, (nomos empsukhos). (...) [cette figure] permet de légitimer l'arbitraire impérial en inventant un ordre légal auquel référer l'empereur : ce dernier n'a plus à être soumis aux lois humaines, puisqu'il représente une légalité supérieure. De la sorte, l'association de la liberté et de la loi, constitutive de la cité antique, disparaît. » 

B) définir « la figure du bon berger, (bonus pastor). L'empereur veille sur ses sujets comme Dieu veille sur le monde : à la façon d'un berger veillant sur son troupeau. » 

C) définir « la figure de l'empereur philosophe, symbolisé pour nous par Marc Aurèle, mais qui commence en fait à se profiler dès le règne d'Auguste, qui vivait entouré des philosophes Areius, Denys et Nicanor. Cette figure de l'empereur philosophe se compose de trois éléments essentiels. D'abord, l'empereur philosophe est maître de lui-même, trait qui le distingue immédiatement du tyran, esclave de ses passions. Une passion qui caractérise le tyran, c'est la rage, "ira". (...) Un deuxième élément est constitué par l'acceptation de la Providence (...) Le troisième élément, la relation "familiaritas" qui unit l'empereur et le philosophe, et qui apparaît elle aussi dès le règne d'Auguste. Cette relation est régie par la "parrhèsia", c'est-à-dire la faculté de "tout dire" dévolue au philosophe. Cette "parrhèsia", très à la mode aujourd'hui dans les études sur la philosophie antique, est souvent mal comprise. Les Modernes imaginent que le philosophe constitue un contre-pouvoir politique face à l'empereur. Or c'est exactement l'inverse. D'abord le discours de "parrhèsia" n'est jamais politique, mais toujours moral (...) Enfin, ce qui était destructeur pour les valeurs républicaines, c'est que la "parrhèsia" se dit en latin "libertas". Autrement dit, la "libertas" n'était plus définie comme la souveraineté du citoyen participant librement à la vie politique, mais réduite à une simple 'liberté d'expression', et qui plus est à une liberté d'expression ne s'exerçant que dans le domaine moral. Cette légitimation du pouvoir impérial par un principe de légitimité moral (empereur maître de lui-même, soumis à la Providence, écoutant les conseils moraux de son philosophe) allait de pair avec un immense travail accompli par les philosophes dans le reste de la société, consistant à détourner les citoyens, et notamment les premiers d'entre eux, les nobles, de la vie politique vers la vie morale. » (Idem) 

Présentement, nous vivons un retour vers la pratique de la politique impériale. Nous avons une élite éducative, méritocratique et urbaine qui se présente comme de nouveaux empereurs et de nouveaux nobles. Cette élite se dispute les fruits d’un infrastructure de dimension planétaire et se sent visitée par la Providence; les membres de cette caste ont le compte de banque, les diplômes, les titres de métiers et une religion morale qui prouvent leur stature. Cette élite est sage parce qu’elle est allée à l’université et parle la langue inclusive : ce sont des philosophes et ils publient des livres « d'intellectuels » pour le prouver. Finalement, ce sont des bons bergers, des bons pères de famille (parent 1 et parent 2) et des personnes normales, capables de se montrer avec le vulgaire pour un reportage télé. Par contre, quand ils font des erreurs, la loi semble assez difficile à être appliquée. Autant au Québec (arrêt Jordan) qu’aux USA (affaire Alstom/Frédéric Pierucci), qu’au Canada (Meng Wanzhou), en Chine, en Russie, au Japon (affaire Carlos Ghosn), etc, le droit devient un outil pour contrôler et projeter la puissance d’un état et de son tyran. En plus de ramener au goût du jour le principe des kidnappings comme moyen diplomatique, politique, militaire. Parlez-en aux Tibétains dont le Panchen-lama a été kidnappé par le régime du parti communiste chinois alors qu’il avait 6 ans. 

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