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Définir la guerre à l'époque des conflits mondialisés

« Les transformations de l'art de la guerre proviennent donc des transformations de la politique. (...) la guerre est un instrument de la politique. Elle en revêt le caractère, elle se mesure à l'aune de celles-ci. C'est la politique elle-même qui assure dans tous ses grands traits la conduite de la guerre, qui échange la plume pour l'épée, mais ne cesse pas pour autant de penser selon ses propres lois. » - (Carl von Clausewitz, De la guerre)

Beaucoup s'imaginent à défaut que nous avons vécus ces dernières décennies à l'intérieur d'une sorte de société mondialisée pacifiée par les traités de libre-échange, protégée par la religion droits-de-l'hommiste et ses dérivés sauce onusienne. Chaque nouvelle génération nous a amené son lot de militants vertueux et croyants qui s'époumonent à crier la « révolution des coeurs » à la manière des catholiques universalistes sévissant depuis la controverse de Valladolid. Ce moment où il fût déterminé par l'Église que les droits de conquêtes au Nouveau Monde se justifiaient si les Espagnols faisaient des populations locales des convertis. Ces nouveaux curés prosélytes passent depuis leur temps à vouloir bombarder des populations « pour la liberté », tout en fustigeant les sans-dents des périphéries occidentales qui osent dénoncer le climat d'insécurité physique, identitaire et culturelle accompagnant le phénomène d'immigration de masse, ou encore les effets collatéraux de la mondialisation des réseaux humains à l'échelle planétaire, dans leur mode de vie de tous les jours.

L'erreur fondamentale des nouveaux curés de la pacification intersectionnelle, écologiste ou post-marxiste est d'avoir consentis à définir notre époque comme une époque hors-guerre : une époque où la « guerre » aurait été expulsée de l'espace civilisationnel occidental. Mais cette erreur est le fait d'une inculture manifeste dans la connaissance de la guerre comme phénomène en soi. Amalgamer « actions violentes », « opérations militaires » et « guerre », c'est promouvoir une confusion des genres qui empêchent de voir l'intention hostile de ses adversaires politiques, économiques... ou guerriers : « l'action militaire ne revêt que rarement, ou pas du tout, un caractère de continuité. Les opérations ne représentent souvent qu'une faible proportion de la durée du conflit, et les périodes d'inactions l'emportent. ». C'est pourquoi je m'en suis remis au théoricien de la guerre, Carl von Clausewitz afin de dresser la table sur quelques considérations à tenir sur la période de guerre actuelle, post-soviétique, multipolaire, et encadrée par la realpolitik du choc des civilisations baudreliennes ou huntingtonniennes.

Qu'est-ce que la guerre?

C'est avec cette question que von Clausewitz ouvre son livre « De la guerre » : « Qu'es-ce que la guerre? ». Où s'imbriquent les usages, les moyens mis en oeuvre par la guerre, et les fins qui découlent de l'affrontement des forces opposées? La réponse et claire, sans équivoque, et persiste encore aujourd'hui comme vérité universelle : « La guerre est donc un acte de violence dont l'objet est de contraindre l'adversaire à se plier à notre volonté. (...) son usage n'est limité par rien; chacun des adversaires impose à l'autre sa loi, d'où découle une interaction qui ne peut manquer, conformément à l'essence du sujet, de mener aux extrêmes. ». Quelle est cette volonté? C'est « l'objectif politique » derrière la guerre :

« L'objectif politique n'est toutefois pas un législateur tyrannique, car il doit se plier à la nature du moyen qu'il utilise. Et en sera souvent transformé, même s'il reste toujours la première des considérations. La politique imprègne donc la totalité de l'action militaire et exerce sur cette dernière une influence constante, dans toute la mesure où le permet la nature des forces qui s'y déchaînent. (...) On voit donc que la guerre n'est pas simplement un acte politique, mais véritablement un instrument du politique, une continuation des rapports politiques, la réalisation des rapports politiques par d'autres moyens. Ce qui reste à la guerre de caractère singulier provient simplement des moyens singuliers qui sont dans sa nature. »


Plusieurs affrontements intra et inter-civilisationnels font présentement rages sur la planète. Des affrontements d'agents étatiques, corporatifs et indépendants sur des « terrains » différents, dans des « théâtres de guerre » différents, avec des degrés d'intensité des actes guerriers qui varient dans le temps. On peut penser à la périphérie de la Russie – annexion de la Crimée et guerre civile ukrainienne -, au grand Moyen-Orient complètement déstabilisé – guerres civiles multiples, affrontements par armées-proxy, guerre religieuse au sein de la civilisation musulmane et guerre de profit pour les ressources d'un sous-sol convoité –, ou encore à la série de déstabilisations de régimes autocratiques sud-américains, la dangerosité de la zone de piraterie somalienne et au terrorisme rampant dans le Sahel. Le monde est en ébullition non seulement avec les vagues populistes des démocraties libérales, mais dans la réalité de la multiplication des « conflits de basse intensité » qui dominent la scène politique globale.

« L'état de guerre » n'est plus celui de l'affrontement d'armées immenses comme ce fût le cas au début du 20ième siècle. Comme von Clausewitz l'affirme, cette définition de l'état de guerre s'est « transformée » aux contacts des pratiques politiques du siècle dernier. Alors qu'en est-il aujourd'hui de la guerre?

La guerre 3.0

La guerre s'est trouvé transformée un nombre incalculable de fois dans l'histoire des civilisation. Aux contacts de l'innovation technologique et de la formation des « corps d'hommes » de densité de plus en plus élevée nous avons pu voir l'évolution des tactiques et des stratégies de guerre qui permettent d'arriver aux fins politiques de l'entreprise. La guerre n'a pas de limite théorique et nous l'avons vu avec la Shoah.

Pour caractériser l'état de guerre actuel, il faut pour cela ajouter de nouvelles données au traité de von Clausewitz. Tout d'abord, il faut définir le « terrain » où se situe les théâtres d'opérations : définir l'espace de guerre, définir les acteurs alliés et mettre en lumière les intérêts étrangers dans le cadre de ces théâtres d'opérations. En plus des théâtres d'opérations de l'histoire antérieure – l'espace physique, terrestre, naval et aérien -, le monde contemporain a créé une multitude de nouveaux espaces non-physiques. Des espaces qui entrent dans la matrice de la « cybernétique »; le socle de la mondialisation : tous les réseaux où se situent nos infrastructures stratégiques (internet, électricité, téléphone, bases de données, cellulaires, plate-formes numériques, finance, monnaie, industries, santé et sécurité publique, médias de masse). De même, il existe aujourd'hui un nouvel espace utilisable comme vecteur d'attaque et comme lieu d'occupation physique : l'espace extra-terrestre.

Ces espaces de guerre peuvent parfois être occupés, mais pas tout le temps, car à défaut d'un accès direct au terrain où se situe un infrastructure stratégique, les espaces cybernétique peuvent être utilisés comme des « vecteurs d'attaques »; comme des moyens pour arriver à une fin stratégique. Les cibles de ces attaques sont soit des « places fortes » où se concentrent des intérêts ennemis, ou encore sont les cibles qui entrent dans une stratégie globale. Ces espaces ont chacun leurs « règles d'engagement » : comme une carabine implique un agent qui presse la détente, sur un terrain où un ennemi se trouve devant lui, le vecteur d'attaque n'agit pas dans un vide ontologique. Les virus informatiques, les tactiques de « hacking », la « guerre commerciale », la déstabilisation d'un régime politique, etc fonctionnent avec leurs propres règles de cohérences internes propres aux réseaux sur lesquels ils ont un impact. Chaque espace peut donc avoir à sa disposition des types d'usage de force et de coercition propres aux réseaux mis en lien; un hackeur est limité par la structure d'internet et un espion par le cadre de l'institution qui commande ses services. Le « permis de tuer » de James Bond est trop souvent l'exception et non la norme.

La classification des objectifs stratégiques

Quand on commence à regarder le monde actuel sous la loupe de l'état de guerre, on peut saisir les nuances de certains enchaînements historiques. Certains, mais pas tous car comme von Clausewitz le souligne, nous sommes toujours sous le coup d'un « déficit d'appréciation » dans l'observation pour déterminer la stratégie à dicter aux forces en place. C'est le fameux « brouillard de guerre » (fog of war en anglais). La définition de ses propres objectifs stratégiques est donc l'enjeu supérieur à défaut de quoi on ne peut qu'assurer une défense sans coordination, et surtout, sans avoir jamais l'initiative sur les théâtres d'opérations ciblées par l'adversaire; devant les acteurs étrangers qui eux, ont élaborés une stratégie pour arriver à leurs propres fins.

On peut donc classifier ces objectifs stratégiques par 1) ordre de priorité stratégique des places fortes, des réseaux de distribution et des réserves de ressources, 2) selon les types d'espaces mis en cause, 3) selon les types de vecteurs de mobilisation utilisés afin de distribuer les forces actives dans les théâtres d'opérations, et 4) selon le coût des externalités associé aux actions guerrières. Car, comme le souligne von Clausewitz, après toutes ces considérations, après la classification des objectifs stratégiques, après l'observation des forces en place et la mise en commun de nos propres intérêts nationaux :

« Nous saisissons par là à quel point la nature objective de la guerre en fait un calcul de probabilité il ne manque plus qu'un seul élément pour en faire un jeu, et cet élément ne fait jamais défaut : c'est le hasard. Nulle autre activité humaine n'est de façon si permanente et générale gorgée de hasard que la guerre. Et avec le hasard viennent prendre une place importante l'imprévisible et la chance. (...) l'absolu, le prétendument mathématique, ne trouve jamais pied ferme dans les calculs de l'art de la guerre, (...) d'entrée de jeu, la guerre à travers sa trame et sa chaîne entière est un jeu de possibilités, de probabilités, de chance et de malchance, et que de toutes les manifestations de l'activité humaine, c'est du jeu de cartes qu'elle se rapproche le plus. »

Le grand jeu, le plus grand jeu de tous est celui de l'espèce humaine

C'est à l'époque des conquêtes coloniales que les premières guerres modernes du renseignement militaire se sont manifestés à des échelles globales. Pour forcer le sentiment patriotique derrière la pratique, les Anglo-saxons en ont fait des héros coloniaux de ces premiers espions, tels les Lawrence d'Arabie et autres diplomates tissant des liens commerciaux et géostratégiques avec des acteurs locaux. C'est dans le « soft power » culturel que cette glamourisation du personnage d'espion s'est pratiquée. La trame des histoires implique généralement que l'espionnage est une histoire sans fin, que le grand jeu pré-existe à l'espion et lui survivra à tous les coups. Rare est l'espion qui puisse atteindre la retraite paisible quand la sécurité de la nation se trouve toujours en danger et c'est cette réalité qui fait de l'espion un héros tragique. Tel tous les soldats sans nom morts dans les tranchées des barbaries des guerres mondiales, c'est cette inscription dans les théâtres de guerre plus grand que nature qui rend tragique le destin de l'acteur individuel. Un combat perdu d'avance, car sans fin, mais pour quelque chose de plus grand que soit.

La guerre comme jeu de cartes sans règle, où il est impossible de connaître la main de son adversaire, où le destin tragique de ses acteurs se trouvent toujours mis en danger, où l'information est le nerf de la guerre et où l'occupation et l'anéantissement physique de l'ennemi ne sont pas au centre des fins politiques mais simplement des moyens pour arriver à des fins. C'est ainsi que l'on peut qualifier le grand jeu de la guerre économique qui caractérise l'époque actuel. Il n'en reste qu'à nous comme acteurs politiques et patriotes québécois pour se retrousser les manches et maintenir l'intégrité du territoire, du peuple et de la nation québécoise. Par exemple, quand des entreprises comme Bombardier se font détroussées via l'extraterritorialité du droit américain et par des manoeuvres économiques frauduleuses, le tout coordonné par l'appareil d'état américain.












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