De la fragmentation
à l'archipellisation de la France – les nouveaux modes du
politique
Que cela soit de la
bouche des présidents Hollande et Sarkozy, ou de la bouche de
certains de leurs ministres de l'intérieur, nous savons aujourd'hui
que plusieurs territoires de la république française vivent dans un
état de « non-droit » où l'ordre républicain se
désiste au profit de l'ordre des caïds locaux. Banditisme,
fondamentalisme religieux, regain des particularismes régionaux et
du nationalisme corse, partout la France s'agite, en proie aux pires
turpitudes, recherchant le récit narratif d'une communauté qui
n'existe plus vraiment de nom. Les premiers qui ont vus venir cette
fracture l'ont fait dès la période post-mai 68, Christopher Lasch
et sa « culture du narcissisme » (1979) et le
« désenchantement du monde » (1985) de Marcel Gauchet,
pour ne pas les nommer, ont prévu comment un monde mondialisé
allait modeler l'individu occidental de demain. Comment cet individu
allait se voir en tant qu'individu, comment il allait se voir dans
l'histoire et comment il allait se projeter sur le reste de la
planète. Cet individu mondialisé, ce « transhumain » ou
« posthumain », est évidemment une abstraction, une idée
pure. C'est une figure esthétique qui est partagée par une fraction
non négligeable de la population comme symbole de valeurs, de
pratiques et de modes de vie. Et cet individu mondialisé se trouve
en opposition sur une série de clivages politiques majeures avec la
population majoritaire, tout en vivant isolé de cette altérité. Ce
sont ces clivages et cette ségrégation socio-géographique que
Jérôme Fourquet met en lumière dans « L'archipel français »,
le récit d'une France sur le fil du rasoir.
La France Éternelle,
le tissu social d'avant
Cette fragmentation
ne sort pas du néant. Elle s'est construite à travers plusieurs
courants politiques que Fourquet étudie à la manière de
l'anthropologue et démographe Emmanuel Todd, comme des strates d'un
inconscient collectif liées à l'histoire sur les longues durées.
Fourquet débute avec le le phénomène de déchristanisation amorcée
avant même Vatican II (1962), dès le début du vingtième siècle.
Il fait ensuite un détour par les familles contemporaines,
l'explosion des ménages monoparentaux, la baisse d'intérêt dans
l'institution du mariage, en plus de leur durabilité plus faible,
tel que vécu après la déchristianisation. Il termine avec une
série de déflagrations culturelles, plus récentes, car ayant un
lien direct avec le mode de vie des sociétés post-industrielles et
avancés : ce qu'Emmanuel Todd appelle le « virage
anthropologique ».
La fin de l'histoire
médiatique
Avant ce virage
anthropologique, avant l'apparition des smartphones et d'internet, on
pouvait dire de TF1 en France que cela fonctionnait comme une messe
médiatique où la presqu'entièreté des Français se trouvaient en
communion temporelle. Il est difficile aujourd'hui de s'imaginer une
telle communion. C'est ici que nous arrivons à la crise des médias
de masse.
Avec la
mondialisation des capitaux, des individus, des ressources, vient la
mondialisation des informations. Avec la concurrence de tous contre
tous vient la diversité des perspectives, des intérêts et des
récits narratifs. Chacun peut vendre n'importe quoi sur le marché
mondialisé et le plus important sera toujours les informations, les
faits et leur véracité. Ainsi, la quête de l'attention des
citoyens par les médias de masse devient un enjeu économique
majeur. Malheureusement pour les médias de masse, chaque nouvelle
mouture des « émissions de contenus » vient avec une
baisse d'auditoire et de lectorat. Accablés par les échecs des
plans marketing, maintenus en vie par les aides de l'état et
tribalisés par les pires cliques d'intérêts corporatistes, ces
médias inefficaces font fuir leur public vers les « plateformes
alternatives », qui elles sont en réelles essors depuis plus
de deux décennies. Avec ce foisonnement alternatif est aussi venu
l'explosion des sites complotistes et la baisse fulgurante du niveau
moyen de culture scientifique. Finalement, au sein même de
l'éducation nationale, du territoire géographique, durant les
vacances et au travail, c'est un phénomène de sécession totale des
élites qui est en marche.
Les jeunesses
populaires et mondialisées
Partagé par tous,
un attrait à la culture anglo-saxonne, le « soft-power »
américain dirait Huntington. Dans les milieux riches, ouverts; chez
les gagnants de le mondialisation, on perçoit l'effondrement du
sentiment d'appartenance avec la nation, vécu comme un objet tabou,
sale, dangereux. On y pratique l'exil fiscal quand cela nous avantage
et on vote selon le meilleur calcul fiscal qui se trouve devant
nous : la baisse de la taxe d'habitation par le gouvernement
Macron de 2017. Chez la majorité populaire, il y a deux perspectives
envisageables : A) les banlieues urbaines formant des ghettos
ethniques, accumulant la majorité des logements sociaux, avec peu de
mobilité, sous l'ordre économique et tribal des vendeurs de
drogues, puis B) les périphéries où se concentrent les populations
blanches moins éduquées et descendantes des ouvriers industriels ou
agricoles. C'est à partir de ces trois perspectives que Jérôme
Fourquet est arrivé à dresser la table pour nous raconter les
évolutions historiques qui ont rendues possible la présidence
d'Emmanuel Macron en 2017.
Le clivage de
l'ouverture
Que cela soit
géographiquement, culturellement, historiquement et
individuellement, tout oppose le monde de Macron et le monde qui lui
fait face. La France est en ébullition et c'est le tabou de la
famille Le Pen qui aura au final mis Macron sur le trône.
L'émergence du Front National dans les années 80, les échecs du
traité de Maastricht, la ségrégation éducative, le sentiments de
déclassement social et l'insécurité territoriale sont les signes
d'une France en ébullition, avec des îlots en quête d'autonomie et
sur le point de faire sécession. Tous les indicateurs le montrent,
pour prévoir la nature du vote Macron-Le Pen il suffit de connaître
la situation de l'électeur (chômeur, type de travailleur, niveau de
scolarité), la distance de sa résidence avec une aire urbaine, la
distance de sa résidence avec une gare et la proximité de sa
résidence avec la frontière italienne-alpes maritimes. Quatre
critères simples qui montrent à eux-seules comment le vote d'une
société fracturée résonne dans l'espace des modèles
socio-descriptifs.Avec cette perspective tragique de
l'archipellisation de la France, on peut ainsi mieux voir venir ce
qui viendra lors du ressac démographique québécois, quand la
population issue de l'immigration sera de l'ordre de 5, 10 puis 15%
sur notre territoire, ce qui arrivera durant les prochaines
décennies.
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