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L'esprit d'orthodoxie

L'esprit d'orthodoxie

Il ne faut pas nier que le présent débat sur la censure en milieu universitaire n'est qu'un débat aux conséquences symboliques, où une minorité d'acteurs médiatiques se renvoient la balle dans un spectacle affligeant regardé par une minorité d'électeurs, ou devrais-je dire spectateurs gavés d'insanités et noyés dans une marre de médiocrité propre à l'époque.

Ceci dit, prenons un peu de recul. Ce débat sur la censure, ce débat contre la censure et pour la liberté d'expression, comme le souligne chacun des protagonistes, à sa manière, c'est surtout un autre exemple du rejet global de l'esprit d'orthodoxie progressiste qui règne depuis plusieurs décennies. Cet esprit d'orthodoxie s'oriente autour de ce que Raphaël Liogier appelle le métarécit individuo-globaliste; l'histoire heureuse de la mondialisation et de la déconstruction de l'individu dans une multitude d'identités difformes, multiples et regroupées dans de multiples mythologies, évoluant au rythme des marées et des pleines lunes sauf lorsque Mercure est en rétrograde.

(Quand Mercure est en rétrograde c'est le moment où les gens prennent des décisions importantes.)


Le problème dans l’esprit d’orthodoxie, c'est que les acteurs vivant à l'intérieur de l'écosystème ont tendance à réécrire la réalité et dénaturer la langue dans une série d'abstractions sans fin.

Dans un de ses fameux essais, Politics and the English Language, George Orwell décrit le déclin de la langue anglaise en Angleterre durant l'époque où l'intelligentsia de gauche était procommuniste et défendait les purges de Staline avec des exemples flagrants où la langue écrite et parlée était empoisonnée par le sentiment procommuniste. Encore aujourd'hui les discours des idéologues identitaires qui défendent la censure utilisent les mêmes procédés; les vieilles “métaphores mourantes”, des métaphores telles qu'une description littérale de “structures de pouvoir” qui s’incarnerait physiquement dans un affrontement entre Mathieu Bock-Côté et des minorités opprimées fantasmées; les “operators, or verbal false limbs”, des mots ou expressions pour enfler les discours; les “dictions prétentieuse” - je plaide coupable -, comme des mots dans une autre langue pour faire exotique et littéraire ou encore les jargons comme celui des structuralistes que j'ai déjà évoqué plus haut; des mots et expressions absolument insignifiants; et finalement les phrases déjà faites (readymade) comme “Nul peut être contre la vertu.”

Peu importe le langage utilisé par l'auteur, on revient toujours aux mêmes questions: est-ce qu'on supporte ou non la censure? Si oui, quelles sont les modes de la censure? Plus spécifiquement, qu'est-ce qui constitue un discours haineux? Est-ce que le discours nationaliste est un discours haineux? Qui en est le juge? Qui nommera l’inquisition en charge de cet office?  Est-ce que les regroupements d'individus qui poussent une conférencière à annuler sa conférence par le chahut qu'ils provoquent, constitue en soi un acte de censure ou bien un discours symboliquement POUR la liberté d'expression des minorités opprimées représentées par quelques militants incapables d’articuler des questions en suivant le décorum pour préférer une théâtralisation de l'espace universitaire pour avancer leur acharnement idéologique?




John Milton, auteur de “Areopagitica, pour la liberté d'imprimer sans autorisation ni censure”, ajouterait une dernière question - (figurez-vous un vieux mononcle anciennement puritain qui écrit ce texte de tolérance dans un contexte de guerre civile entre chrétiens): “il faut d'abord exposer, comme je le proposais, ce qu'on doit penser en général de la lecture des livres, qu'il qu'en soit le type: en résulte-t-il plus de profit que de mal?”

Force est d'admettre que nos amis les censeurs sont incapables d'être concrets à propos de toutes ces questions. “De mettre cartes sur table.” (Sue me!) Le fait est que toute forme de censure doit être pensée comme étant possiblement détournée dans le futur. Tout épisode de censure a un effet sur l'état du débat public. Nier la réalité de ses effets et militer quand même pour la censure est en soi une pure folie et un manque de culture sur les formations des totalitarismes au 20ième siècle.

“Le structuralisme réalise l'effacement du réel, l'abolition de l'histoire, la suppression de la réalité. La mort de l'homme s'accompagne donc de la mort du réel, la mort de la réalité, la mort de l'histoire au profit du virtuel, plus réel que la réalité, et du symbolique, plus vrai que toute vérité. La sortie du monde concret s'effectue grâce à la houlette freudienne des structuraliste. Ainsi chacun croit savoir ce qu'est un père ou une mère parce qu'il a un père et une mère dont il est né. Mais chacun se trompe en croyant savoir. Car ‘père, mère, etc, sont d'abord des lieux dans une structure’ . De même, chaque garçon croit savoir ce qu'est un phallus car il s'en existe pourvu. Il se trompe dira le structuraliste, car le phallus ‘n'est ni l'organe réel, ni la série des images associées ou associables: il est phallus symbolique’. “ - Michel Onfray - Décadence, Métaphysique de mai 68.

Comme ce phallus symbolique, Rhéa Jean et Mathieu Bock-Côté se retrouvent à incarner les hérésies de l'époque. Ils doivent faire face à la vindicte “populaire” des militants et chroniqueurs qui ne cherchent qu'à relâcher leur ressentiment et attirer l'attention médiatique. Et comme le climat de notre époque prête à la confusion, le clivage entre ces Don Quichotte combattant les moulins de la post-vérité et les Sancho Pansa de l'identité malheureuse continue de s'agrandir...

Brûlons tout. Brûlons la parole des hérétiques. Brûlons les discours des dépravés. Brûlons notre capacité de penser. De tolérer. De confronter. De parler. De vivre en société. Brûlons les fascistes. Je vais les désigner pour vous faciliter le travail. Allez brûlez les tous. Je ne veux plus les entendre. De toute manière ce seront des martyrs. Ils ne seront vénérés que chez les va-nu-pieds, les crédules et les méchants hommes blancs hétéro cis genre oppresseurs dominants. Mais au moins le silence de leur parole dans nos “safe space” sera un gain POUR la liberté d'expression.



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