"Toute la gloire du monde ne mériterait pas qu'un homme d'entendement étendît seulement le doigt pour l'acquérir."
La médiocratie dans laquelle nous vivons pousse beaucoup d'individus à s'assujettir à certains désirs mimétiques ou à la gloire d'une reconnaissance de ses pairs. L'individu moyen sent toute la lourdeur de son nihilisme et tente de le combler avec des possessions illusoires telles la richesse et la gloire. Ce mode de vie absurde est mis en valeur dans la reproduction sociale de nos mœurs et la scarification de notre psychée à des fins mercantiles.
C'est pourquoi Épicure avait comme principe de "cacher sa vie" et défendre à ses suivants les charges et négoces publiques, car cela "présuppose aussi nécessairement qu'on méprise la gloire: qui est une appropriation que le monde fait des actions que nous mettons en évidence."
"La vertu est chose bien vaine et frivole, si elle tire sa recommandation de la gloire. Pour néant entreprendrions-nous de lui faire tenir son rang à part, et la déjoindrions de la fortune: car qu'est-il plus fortuit que la réputation?" En effet, c'est la chance qui nous fait naître dans la bonne famille, aller dans la bonne école, qui nous fait rencontrer les bonnes personnes au bon moment, qui nous donne l'opportunité de se faire-valoir et qui nous met sur le chemin de la Gloire.
Profecto fortuna in omni re dominatur: ea, res cunctas ex libidine magis quam ex vero celebrat obscuratque (La fortune, assurément, règne en toute chose: elle glorifie ou humilie tout selon son caprice et non d'après la véritable valeur.)
Et c'est là toute l'absurdité des médiocres; leur suffisance les amène à croire qu'ils sont les artisans de leur réputation, de leur richesse et de leur gloire! Comme s'ils étaient des Dieux parmi les hommes.
Vera et sapiens animi magnitudo honestum illud quod maxime naturam sequitur in factis positum non in gloria judicat (Une âme vraiment sage et grande estime que l'honneur, principal but de notre nature, se trouve dans les actes, non dans la gloire.)
Les vedettes et les stars sont le paroxysme de cette suffisance. Leur rôle est d'hypnotiser les mécréants par l'image de cette gloire; l'image du succès; le spectacle d'un vide consubstantiel. C'est en côtoyant ces personnes qu'on peut très rapidement comprendre l'étendue de ce nihilisme contemporain.
"Qui n'est homme de bien que parce qu'on le saura, et parce qu'on l'en estimera mieux, après l'avoir su: qui ne veut bien faire qu'en condition que sa vertu vienne à la connaissance des hommes, celui-là n'est pas homme de qui on puisse tirer beaucoup de service."
Tous les prix, les trophées, les statuettes, les étiquettes, les fonctions, toute la renommée, les légions d'honneur, toute la puissance de la célébration et toute l'immensité des symboles ne sont que des artifices créés par et pour les médiocres.
"Je ne me soucie pas tant, quel je sois chez autrui, comme je me soucie que je sois en moi-même. Je veux être riche par moi, non par emprunt. Les étrangers ne voient que les événements et apparences externes: chacun eut faire bonne mine par le dehors, plein au-dedans de fièvre et d'effroi. Ils ne voient pas mon cœur, ils ne voient que mes contenances."
Toute l'hypocrisie de cette suffisance de la gloire n'est qu'une manière de masquer la toxicité de notre société. De stigmatiser les individus hors de la moyenne - ceux qui diffèrent de la norme des médiocres - et provoquer l'anxiété pathogène de ce besoin de réussir sa vie.
Et c'est là qu'on voit des gens plein de richesse, plein de talents, plein de gloire, plein de renommée... se trancher les veines, se pendre, se tirer avec un fusil de chasse.
Parce que la gloire est une fumisterie faite pour les médiocres.
(Les citations et le latin viennent de l'essai "De la gloire" dans le deuxième tome des Essais de Montaigne.)
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