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Du monde des rêves au nouvel enfer de Dante

Du monde des rêves au nouvel enfer de Dante

« And now begin the dolesome notes to grow
        Audible unto me; now am I come
        There where much lamentation strikes upon me.
« I came into a place mute of all light,
        Which bellows as the sea does in a tempest,
        If by opposing winds ‘t is combated.
« The infernal hurricane that never rests
        Hurtles the spirits onward in its rapine;
        Whirling them round, and smiting, it molests them.
« When they arrive before the precipice,
        There are the shrieks, the plaints, and the laments,
        There they blaspheme the puissance divine.
« I understood that unto such a torment
        The carnal malefactors were condemned,
        Who reason subjugate to appetite.
« And as the wings of starlings bear them on
        In the cold season in large band and full,
        So doth the blast the spirits maledict;
« It hither, thither, downward, upward, drives them;
        No hope doth comfort them evermore,
        Not of repose, but even of lesser pain.
« And as the cranes go chanting forth their lays,
        Making in air a long line of themselves,
        So saw I coming, uttering lamentations,
« Shadows borne onward by aforesaid stress. »

- (Dante Alighieri, The Divine Comedy, Inferno, Canto V, lines 25-49)


Nous sommes au tout début de l’épopée de Dante, dans le deuxième cercle des enfers; celui des luxurieux qui ont sacrifié leur raison afin d’apaiser leurs désirs charnels. Bien que l’auteur parle ici de sexualité, il est évident qu’autant sur le plan des maux subits que sur la description du phénomène, l’addiction aux drogues fortes et l’alcoolisme agissent comme une maîtresse qui modifie les comportements sociaux d’un individu. Une maîtresse qui demande toujours de plus fortes doses afin de parvenir au même soulagement. Jusqu’à prendre la vie de ses amants oubliés. Cette lente mort invisible peut prendre des décennies avant d’arriver à son dénouement et c’est ainsi que commence l’histoire du lent déclin du rêve américain.

En début d’année, le 14 février 2020, je publie une courte chronique/recension de « Dreamland » de Sam Quinones dans le cadre de mon enquête socio-économique derrière la présidence populiste de Donald Trump. Publié en 2015, Quinones y fait le récit des perdants de la mondialisation. Le récit d’une Amérique « déconstruite » par des politiques publiques criminelles, en matière de « gestion de la douleur », provoquant une épidémie de surdoses d’opiacés dans la population active. Le récit d’une Amérique déchirée par la mondialisation des réseaux d’auto-entrepreneurs de distribution de drogues mexicains qui inondèrent le marché illicite américain de « black tar », une héroïne ressemblant à du goudron, facile à faire, peu onéreuse et ayant un standard de 80% (très élevé pour le coût permettant des marges énormes), responsable de la seconde vague de cette épidémie, vers la fin des années 90. Le récit, d’une Amérique où les emplois de villes industrielles ont été délocalisés en Chine pendant des décennies, remplacés par des emplois pour universitaires urbains… et quelques emplois aux conditions exécrables dans les périphéries. Et finalement le récit d’une Amérique où les autorités gouvernementales sont au courant du phénomène depuis 2003-2008, mais qui ne parviennent pas à arrêter cette lente désintégration sociale, économique et institutionnelle. Le récit d’un rêve qui se transforme en cauchemar.

Quinones termine son enquête de manière positive. Il nous raconte son retour dans plusieurs villes perdues, aux quatre coin de l’Amérique, pour nous montrer la renaissance de certaines communautés ravagées. Des histoires qui parlent de l’implication des élites locales, le retour des valeurs traditionnelles fortes et une omniprésence de la foi pour beaucoup de ces communautés. 

Du cauchemar à l’enfer

En plus d’une troisième vague de l’épidémie – due au Fentanyl importé de Chine – et qui commence en 2013, nous avons vu la guerre commerciale entre la Chine et la présidence de Trump débuter en 2018. Pour répondre à la menace populiste des Sanders et Trump – remplir leurs caisses ($$$) et garder leurs emplois d’universitaires – les médias de masse implantent le modèle « Fox news » dans toutes les rédactions. Chaque jour les médias nous présentent un « 2-minutes-hate » où les frasques et pitreries de l’agent Orange nous sont présentées afin de provoquer des hurlements, éructations et signalements de vertus progressistes systémiques. La colère est l’émotion qui permet de maximiser les partages de « liens » sur les réseaux sociaux (Benkler Faris and Roberts, Network Propaganda) et les médias le savent. Résultat : une élite qui sacrifie son éthique journalistique, hystérise des segments de la population et paraît remplie de vertus. Pendant ce temps, l’épidémie de tous nos désespoirs continue à ravager la majorité blanche non-éduquée. Pis encore, elle s’est amplifiée.

En début d’année, Anne Case et Angus Deaton publient « Deaths of Despair, and the Future of Capitalism » pour mettre en lumière ces forêts discrètes d’arbres morts, séparer les fausses causes idéologiques des vraies causes de ce drame, et proposer des solutions éprouvées. Ce que les indicateurs de santé, en particulier 1) le taux de mortalité, 2) l’espérance de vie, 3) les indicateurs de morbidité et 4) des études sur les taux de douleur dans la société nous font voir, c’est une forêt de maux plus grande qu’anticipée. 

Cette épidémie de morts de désespoir dépasse les surdoses d’opiacés, de « black tar » et de fentanyl chinois pour déborder dans tous les sens. Case et Deaton démontrent A) que l’épidémie englobe, en plus des opiacés, les suicides, les cirrhoses, les maladies hépatiques, les intoxications à l’alcool et le retour des maladies cardio-vasculaires comme cause de mortalité dans la population active, B) que l’épidémie touchait principalement les hommes blancs sans diplôme universitaire, et touche maintenant les femmes de la même catégorie, C) que le même genre d’épidémie avait affecté les hommes noirs sans diplôme universitaire durant les années 70-80 via l’épidémie de « crack cocain » et les premières pertes d’emplois dues à la mondialisation, et que cette épidémie-ci ne semblait pas les affecter… jusqu’à tout récemment (2013-2017 début de l’épidémie chez les noirs), D) que l’épidémie atteint désormais les hommes latinos sans diplôme universitaire depuis 2017, et E) que tous les indicateurs empirent de génération en génération, sans exception. Il faut donc comprendre que les progressistes, les p’tits gauchistes de salons mondains et toutes ces variations du même modèle de bobos-urbains-éduqués, ressassent des discours sur les inégalités qui datent des années 60 et des trente glorieuses, ne répondant pas à la réalité de la majorité. Ils vivent dans une bulle où le monde s’est arrêté en 1991 quand l’Union Soviétique a explosée.

Fausses et réelles causes

Parmi les fausses causes, Case et Deaton nomment 1) la pauvreté en générale, 2) les inégalités de revenus et 3) la récession de 2008-09 comme les trois « usual suspects » des petits bobos gauchistes. Malheureusement pour ces intellectuels vivant de l’herméneutique marxiste, les chiffres ne concordent pas du tout, et ce, à toutes les échelles (communautés, régions, états, nation). Par contre, et c’est là que nous voyons apparaître les réels facteurs qui portent les inégalités de fait dans la vie de 2020, Case et Deaton démontrent à travers tout le livre que les trois facteurs principaux derrière la plus grande crise de santé publique depuis l’épidémie de VIH et la grippe espagnole de 1918, sont ceux dont je parle depuis presqu’une décennie : 1) le niveau de scolarité atteint, 2) le lieu de résidence géographique et 3) l’accès à la mobilité. Avec ces trois indicateurs, tous les clivages majeurs apparaissent. Tout pour faire crier les petits fachos intersectionnels obsédés par les « identités de races, de genre et de sexualités ».

Pour couronner le tout, Case et Deaton parsèment dans tout le livre des éléments de contextes qui témoignent de deux réalités boboësques qui encouragent*** cette divergence entre les réalités des bobos-urbains-éduqués, les « sachants », et celle des sans-dents, les « méchants populistes ». La première est celle de la mixité sociale en chute libre : A) la ségrégation sur les lieux de travail par niveau de scolarité, B) le retrait complet du marché de l’emploi qui augmente dans la majorité sans diplôme universitaire, C) une ségrégation géographique, encore une fois basée sur le niveau de scolarité atteint, et D) (découlant de C) une ségrégation dans le système d’éducation. La seconde réalité est celle d’une redistribution des revenus de la croissance économique qui 1) avantage les emplois universitaires et 2) fais stagner, voir baisser, les revenus disponibles des individus sans diplôme universitaire. Le tout menant à un marché où les fonds de placements de retraite utilisés par les bobos-urbains-éduqués Américains investissent (grâce à des politiques fiscales votées par des lobbies de travailleurs universitaires) dans des entreprises qui se délocalisent en Chine (détruisant les emplois industriels des sans-dents, remplacés par des emplois exécrables) et/ou qui utilisent l’état de quasi-monopole et de non-concurrence du système de santé américain pour augmenter le coût des traitements, les « premium » des assurances privées, et donc diminuer le revenu disponible des travailleurs sans diplôme universitaire de manière disproportionnée en comparaison avec les bobos-urbains-éduqués. Et le tout encourage évidemment une inégalité dans l’accès aux services de santé MALGRÉ la couverture par l’assurance privée de l’employeur. Dans tous les cas les sans-dents l’ont dans-le-cul.

Pistes de solutions systémiques

Case et Deaton ne font pas que péter la bulle des bobos-urbains-éduqués; ils proposent des solutions qui feront autant plaisir à droite qu’à gauche (la droite n’aime pas plus les monopoles duh). Des solutions comme 1) les luttes anti-trust contre les monopoles et les consolidations de secteur, de région et/ou par des schémas d’investissement horizontaux, dans le domaine de la santé et des soins, qui nuisent à la concurrence, font monter les prix et diminuer l'accès aux soins, 2) le remplacement du système de santé Medicare/Medicaid par des « vouchers », en plus de l’abandon du modèle des assurances privées offertes par les employeurs (qui grugent les salaires et sont une rente pour les assureurs), 3) une agence gouvernementale de surveillance des coûts et de la concurrence en santé, et gardienne de la balance des coûts vis-à-vis des gains réels (en espérance de vie) pour la population, basée sur le modèle britannique de la « National Institute for Care Excellence » (NICE), 4) une décentralisation du système de santé, comparable au réseau allemand, et 5) forcer toutes les entités du domaine de la santé à la transparence; montrer les frais cachés, les coûts des services, les activités de lobbyistes et surtout rendre public les listes d’achats de publicités chez les GAFAMs (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui influencent les politiques à tous les niveaux… favorisant le statu quo. Dans cette divine comédie, la couleur de peau, le sexe, le genre et le type de sexualité n’ont aucune importance. Ce phénomène de société est invisible pour les « sachants » et ils n’en voient que ce qu’ils veulent haïr : la présidence populiste de l’agent Orange. En étant certain de ne pas oublier de maudire les suppôts de Satan qui osent leur dire qu’ils existent.

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