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Théorie de l'information du président Trump – la loi des rendements décroissants

Théorie de l'information du président Trump – la loi des rendements décroissants 

Depuis les cinq dernières années, nombre de théoriciens plus ou moins politiques ont élaborés une multitude de systèmes prêt-à-penser fournis à moult médias de masse pour faire couler l'encre, imprimer et vendre du papier en série. L'enjeu est complexe car il s'agissait de trouver un sens aux divers bouleversements sociétaux qui chamboullent, depuis ce temps pas si lointain, nos petites routines quotidiennes. « Comment comprendre le Brexit. » « Comment comprendre Trump. » « Comment comprendre la montée du national-populisme en occident. » Le théoricien en herbe en-dedans de chacun de nous est tout simplement devenu accroc à ces substances ; ces théories informationnelles censées nous éclairées par temps troubles. Moi-même je suis coupable, caché dans ma campagne quasi-natale, d'avoir suivi le troupeau avec pas moins de trois longues chroniques en 2015, 2016 et 2018 à ce sujet. Que cela soit à la radio, à la télé, dans les livres et sur Internet, partout les hommes se sont polarisés autour de la figure Trumpienne, cherchant la théorie parfaite permettant de bouleverser la dynamique en marche et renverser la « nouvelle » dictature des « fake news ». C'est bien malgré moi que je récidive encore une fois, emporté dans un tourbillon médiatique suivant une énième allocution du président, cette fois-ci concernant l'usage de désinfectant comme produit injectable capable de combattre l'épidémie du coronavirus. La presse ne se fît pas attendre, reprenant comme une chorale « qu'il ne faut pas s'injecter du Lysol dans l'organisme voyons », forçant même la compagnie manufacturière du produit à contredire le président dans leur propre adresse à la nation. Je dis « malgré moi » parce que même sans écouter aucune allocution du président, il est devenu incontournable chez nos médias de promulguer au bas peuple un deux minutes quotidiens de haine anti-Trump – suivant l'image orwellienne du « Two Minutes Hate » de 1984 – pour faire ressortir les émotions des spectateurs et les ramener du côté clair de la bonne morale boboësque. Partout la hargne anti-Trump s'est instituée comme signal d'appartenance : vous êtes avec lui ou contre lui, aucun entre-deux. 

Au même moment que cette nouvelle polémique j'étais en train d'étudier la longue histoire de l'information dans les sociétés humaines et à travers des titres tels que « Information The New Language of Science » du physicien Hans Christian von Baeyer, « The Information A History, A Theory, A Flood » de l'excellent vulgarisateur James Gleick et « Why Information Grows » d'un autre physicien dénommé César Hidalgo. Une longue recherche qui plonge à l'intérieur de ce terme « information » pour en tirer une théorie capable de faire fonctionner le monde actuel. Ces lectures et cette polémique ont fait remonter en moi un souvenir pas si lointain d'un débat sur le populisme entre l'ancien conseiller du président Steve Bannon et l'éditorialiste néo-conservateur David Frum. Ce moment où Bannon explique à la foule comment comprendre Trump : « It's all about discerning between the signal and the noise ». Tout est une question de comprendre comment faire la différence entre le bruit et les signaux de communication. 

La théorie de l'information 

Le père de la théorie, Claude Shannon, a construit à l'époque un diagramme simple et parfait pour imager comment l'information navigue à travers divers médias : 

« A communication system must contain the following elements : 1) The information source is the person or machine generating the message, which may be simply a sequence of characters (...) 2) The transmitter « operates on the message in some way » – that is, encodes the message – to produce a suitable signal. (...) 3) The channel (...) 4) The receiver inverts the operation of the transmitter. It decodes the message, or reconstructs it from signal. 5) The destination (...) 6) As prominent as the other elements in Shannon's diagram (...) is a box labeled « Noise source. » This covers everything that corrupts the signal, predictably or unpredictably : unwanted additions, plains errors, random disturbances, static, atmospherics, interference and distortion. » 
- James Gleick, The Information 

Cinq éléments, avec un bonus : 1) la source, 2) le transmetteur, 3) le canal, 4) le récepteur, 5) la destination et 6) une source de bruit. Toute information transmise dans l'univers peut être décrite suivant ce simple diagramme. De même, l'afflux dans le « canal » de « bruit » est tout simplement in-con-tour-nable. Demandez à n'importe quel ingénieur autour de vous; ces gens vivent à comprendre ces diverses sources de bruit afin de les diminuer au maximum dans les systèmes qu'ils opèrent et entretiennent. 

Au moment où je lis ce diagramme, les mots de Bannon résonnent dans mes oreilles : 

« It's all about discerning between the signal and the noise ». 

Séparer le signal et le bruit, c'est tout simplement faire abstraction du tempérament, des tics de langage, du caractère et toutes les autres niaiseries dont il nous a habitué depuis ses premières apparitions télévisuelles. Tous les propos orduriers, toutes les outrances et toutes allusions sexuelles représentent un bruit de fond qu'il est absolument inutile d'écouter. Il s'agit de bruit de fond, mais construit et pensé : la stratégie de communication du président utilise ces scènes de scandale boboësques afin de nous noyer dans un flux ininterrompu d'informations absolument inutiles à compiler. Et pourtant nos médias les compilent à-tous-les-jours. Cette stratégie, certainement qualifiable de « gaz lighting » – capable de nous faire douter de notre propre raison ou de celle de Trump – est sciemment utilisée par le président pour détourner l'attention des spectateurs vers le signal et leur faire confondre les informations transmises avec le bruit de fond médiatique. Cette stratégie de communication est faite pour hystériser les uns et rallier les autres. Cette méthode est tellement efficace que toute la planète perd la face devant l'enchaînement de tactiques grossières pour épouvanter les bobos-urbains-éduqués. Il nous joue dans la main depuis 2015 et c'est pour cela qu'il sera réélu pour un second mandat. 
Les MEMEs de Richard Dawkins 

À l'époque de la parution de « The Selfish Gene » de Richard Hawkins c'est la théorie de l'information qui mena la communauté scientifique vers le décodage de l'ADN; une des plus grandes révolutions scientifiques de l'ère moderne. Pour passer de l'information désincarnée à la microbiologie moléculaire, Dawkins utilisa un exercice de pensée : « Richard Dawkins made his own connection between the evolution of genes and the evolution of ideas. His essential actor was the replicator, and it scarcely mattered whether replicators were made of nucleic acid. » (James Gleick, The Information) Le réplicateur, c'est une image pour exprimer cette tendance universelle de l'information, comme pour les gènes, à se transmettre et persister dans la durée : « For this bodiless replicator itself, Dawkins proposed a name. He called it the meme ». Sa définition du « meme » se calque très bien sur notre utilisation plus récente du terme : « Memes propagate themselves in the meme pool by leaping from brain to brain via a process which, in the broad sense, can be called imitation ». Pensez à ces images populaires circulant sur tous les médias sociaux, à toutes ces idées recyclées, à toutes ces mélodies envoûtantes, à tous ces slogans commerciaux qui foisonnent dans nos médias et vous aurez saisi l'idée générale du « meme ». C'en est de même de toutes ces théories et pensées politiques, ces déclamations anti-Trump et tous ces signalements de vertus systémiques venant de bobos-urbains-éduqués ; dès lors que l'on utilise du temps d'antenne pour capter le bruit trumpien, c'en est fini, il est trop tard. Les insultes, les contradictions, les logorrhées, les simagrées, les photos de ses cheveux, tout passe dans le média pour devenir des « memes » contagieux. Le président trump ne fait qu'envoyer un léger signal accompagné de son éternel bruit de fond, puis l'ensemble de la caste médiatique en extrait quelques « memes » qui ne sont au fond... que du bruit. Le spectateur ne gagne rien à l'écoute ou à la vue de ces « memes », l'information est sublimée au profit d'un show médiatisé centré sur le bruit trumpien. Le spectateur est diverti et la presse vend du papier et des clicks. Les « memes » restent, mais l'information disparaît. 
Surcharge d'information et la loi des rendements décroissants 

Avec tous ces réseaux humains et informationnels qui se multiplient de manière exponentielle, la culture moderne est arrivée à un moment dans l'histoire où la somme des informations qui voyagent sur terre en une journée est impossible à concevoir par un esprit humain. C'est pour cela que nous cataloguons cette information ; que nous créons des filtres et construisons des engins de recherche afin de trier la bonne et la mauvaise information. Le but de ce travail nous permet d'éviter la surcharge d'information ainsi que d'être capable de trouver l'aiguille dans la botte de foin. De même, les théoriciens de l'information ont depuis longtemps été capable de faire émerger une loi concernant la quantification de l'information. Il s'agit de la loi des rendements décroissants : 

« The Law of Diminishing Information – LDI for short – concerns transmission of information through two channels in a row, such as two telephone wires spliced together, or a measure delivered to a receiver who in turn feeds it into a computer, where it can be manipulated and then printed out for a second receiver. Briefly stated, LDI stipulates that compared to direct reception, an intermediary – the second channel in the chain – can either leave the amount of information unaffected, ot it can diminish the information. What it cannot do is add more information. » 
- (Hans Christian von Baeyer, Information The New Language of Science) 

Dans un monde où l'information ne peut être assimilée par un seul individu ou une seule machine, c'est la force des réseaux qui prend en charge ce filtrage et cette recherche des informations pertinentes à partager. Les médias, plate-formes et Internet en soi forment un tissu où toute la société se retrouve plus ou moins interconnectée. Ces sources d'informations, suivant la loi des rendements décroissants, peuvent soit transmettre de l'information exacte, soit transmettre de l'information diminuée. En choisissant de divertir son public cible, ces institutions fournissent au peuple la raison même de la détestation à leur encontre. En choisissant de concentrer leur attention sur le bruit trumpien, en créant une multitude de « memes » présidentiels contagieux et en faisant disparaître de l'équation les informations pertinentes, les journalistes, chroniqueurs, auteurs, politiciens, humoristes et commentateurs de bistrot font dramatiquement diminuer la quantité d'informations qu'ils transmettent à leurs réseaux. Au final, quand l'individu atomisé se retrouve enfermé dans une boucle récursive de recherche d'informations, soit il reste dans la boucle, soit il s'extirpe du réseau et cherche de nouvelles références en matière d'information. C'est cette distorsion et cette dispersion des réseaux humains que les journalistes appellent « la crise des médias ». 

« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » - Bossuet 

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