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La diversité humaine aux intersections de l'orthodoxie et de la biologie

La diversité humaine aux intersections de l'orthodoxie et de la biologie

« The loss of political diversity among professors, particularly in fields that deal with politicized content, can undermine the quality and rigor of scholarly research. (...) when a field lacks political diversity, researchers tend to congregate around questions and research methods that generally confirm their shared narrative, while ignoring questions and methods that don't offer much support.
« The loss of political diversity among the faculty has negative consequences for students, too, in three ways. First, there's the probleme that many college students have little or no exposure to professors from half of the political spectrum. (...) Second, the loss of viewpoint diversity among the faculty means that what the students learn about politically controversial topics will often be « left shifted » from the truth. (...) (Finally) the risk that some academic communities – particularly those in the most progressive parts of the country – may attain such high levels of political homogeinity and solidarity that they undergo a phase change, taking on properties of a collective entity that are antithetical to the normal aims of a university. A collective entity mobilized for action is more likely to enforce political orthodoxy and less likely to tolerate challenges to its key ideological beliefs. Politically homogeneous communities are more susceptible to witch hunts, particularly when they feel threatened from outside. »

- (Jonathan Haidt and Greg Lukianoff, The Coddling of the American Mind, 2018)

Dans les dix dernières années un long processus de polarisation social est arrivé à terme dans le monde occidental. La montée des populismes d'un côté, la polarisation des forces culturelles et étatiques de l'autre, avec comme dynamique clé une boucle de mépris sans fin entre les diverses strates de la société. Les sociologues, sondeurs et démographes qui analysent le phénomène dénotent que les nouveaux clivages politiques s'enlignent désormais beaucoup plus sur le lieu de résidence, le niveau d'accès aux services publics et le niveau éducatif des individus que sur le salaire, la couleur de la peau ou le genre. Pour imager le tout, Haidt et Lukianoff montrent en exemple dans leur livre l'évolution de la représentation politique chez les professeurs des universités américaines – passant d'un ratio 2:1 à un ratio de 5:1 en faveur des professeurs d'extrême-gauche entre 1996 et 2011, avec un déséquilibre encore plus prononcé dans les sciences humaines et sociales, allant jusqu'à 16:1 en psychologie en 2016 – mais aussi en se basant sur un exemple concret. En effet, le « Evergreen State College », le collège le plus progressiste de l'histoire américaine, est devenu un cas d'école pour analyser les chasses aux sorcières et les épisodes de panique morale dans les milieux tribaux de l'extrême-gauche. Le réalisateur Mike Nayna en a même fait un documentaire disponible sur sa page YouTube si le coeur vous en dit : violences, séquestration de personnel, censure, blessures, menaces de mort et émeutes sont devenus le quotidien de ces milieux dits « de gauche ». Pour ce qui est de l'impact dans la recherche, vous pouvez aussi lire sur l'affaire Sokal et l'affaire Sokal 2.0 afin de voir jusqu'où cette nouvelle scolastique se rend dans les milieux académiques de gauche. 

Polarisation et orthodoxie dans l'observation du fait social 

Charles Murray ouvre son dernier titre – « Human Diversity, The Biology of Gender, Race and Class », 2020 – en témoignant qu'il est bien au fait de ces pratiques, les ayant vécues depuis la parution du désormais non-fameux « The Bell Curve » en 1994. Puisque les gens voyaient, et voient encore aujourd'hui, dans l'étude du QI en fonction des populations une méthode pour « hiérarchiser les individus en fonction de l'origine ethnique », donc du racisme, la doctrine veut qu'on rejette le propos en bloc. S'appliquant à nier les différences biologiques entre les populations, réfuter les approches méthodologiques en évitant le propos, voir même, accepter les différences biologiques... en imputant ces différences entièrement à la société, une orthodoxie est née. Partout à l'école, dans les médias de masse, à l'université et dans toutes les institutions culturelles, partout où nous nous appliquons à étudier le fait humain – sociologie, psychologie, sciences sociales, etc – le tabou de la « race » a encapsulé le sujet des différences entre les populations en-dehors des avancements des sciences humaines et sociales. C'est ainsi que depuis les années 60 l'orthodoxie promeut plutôt un nouveau type de scolastique centrée sur le ressenti, les subjectivités et l'intersectionalité des luttes. Une scolastique centrée sur les « régimes de pouvoir » foucaldiens, soutenant la pornographie victimaire et les chasses aux sorcières dans le reste de la société. 

L'orthodoxie en question est assez simple. Elle forme la base de ce que j'appelle une « ontologie de l'expérience humaine » – une description philosophique traitant de l'être, de l'individu – souvent appelée « paradigme socio-constructiviste » ou « post-modernisme » par différents critiques. Pour déconstruire cette orthodoxie, Murray vise les trois thèmes identifiés dans le titre de son ouvrage : 

A) le genre est une construction sociale 
B) la race est une construction sociale 
C) la classe sociale est attitrée par privilège 

Pour repositionner les sciences humaines et sociales sur la même trajectoire que les sciences pures ou la biologie, sciences qui ont effectuées des avancées fulgurantes depuis les années 60, Murray propose dix propositions appuyées par des méta-analyses de deux domaines en particulier : la génétique et les neurosciences. La thèse du livre est simple, l'être humain n'est pas une construction sociale, mais plutôt un être biologique avec un « répertoire cognitif » – une personnalité, des abilités et des comportements sociaux – aux confluents de sa génétique, de sa neurobiologie et de sa psychologie évolutive. De même, il s'applique, via plusieurs chapitres, interludes, annexes et notes, à expliciter les nouvelles sources de ce savoir de l'homme comme fait biologique, à clarifier le fonctionnement neurobiologique d'un humain, à décrire les outils d'analyses statistiques à plusieurs variables nécessaires pour visualiser la complexité, et poser le cadre et les modèles des analyses quantitatives sur lesquels les sciences humaines et sociales devront tôt ou tard adhérer afin d'entrer au 21e siècle. 

Le genre n'est pas une construction sociale 

Les quatre premières propositions, les plus autoritaires et fortement répliquées, concernent les différences entre les deux sexes et tournent autour du spectre psychologique très connu : l'axe « objets vs personnes » qui différencie les sexes de leur répertoire cognitif jusqu'aux différences anatomiques et fonctionnelles dans le cerveau. Murray affirme que 1) « les différences de personnalités entre hommes et femmes sont consistentes partout sur la planète et ont tendance à s'amplifier dans les cultures plus égalitaires ». 

La cohérence dans l'axe « objets vs personnes » traverse aussi les abilités et attributs car 2) « en moyenne les femmes ont des avantages dans les abilités verbales et dans la cognition sociale, pendant que les hommes sont avantagés dans les abilités visuo-spatiales et dans les extrêmes des abilités mathématiques – le classement des génies mathématiciens est disproportiellement à l'avantage des hommes, mais cet avantage s'efface quand on oublie les extrêmes. Ces avantages sexués modifient notre cognition et nous fournissent de différentes « boîte à outils intellectuelles » nous permettant de concevoir le monde. 

Il n'y a pas de meilleur sexe, mais deux types de cognitions différentes. Pour ce qui est des vocations sociales, 3) « les femmes de partout sur la planète sont plus attirées par les vocations centrées sur les « personnes » et les hommes aux vocations centrées sur les « objets ». » Ce ne sont pas les professeurs de mathématiques et les étudiants boutonneux – dont je fus – qui rendent les sciences pures répulsives pour les femmes et il n'y a pas de patriarcat caché dans leurs laboratoires. Murray montre d'ailleurs, chiffres à l'appui, que les politiques sociales d'accès à l'emploi pour les femmes, la contraception et la liberté du monde de vie, ont été des avancés sociales durant les années 60, mais qu'avec le temps l'effet de ces politiques sociales est devenu nul. Les femmes ont acquises leur égalité dans le droit et les barrières à l'emploi n'existent plus. 

Finalement, Murray termine cet état des lieux avec les différences neurobiologiques entre les hommes et les femmes : 4) « les différences dans le cerveau prédisent et expliquent les différences entre les sexes dans la personnalité, les abilités et les comportements sociaux ». Par A) les hormones, B) la croissance foétale et néo-natale, en lien avec les hormones, et C) la latéralisation du cerveau, aussi en lien avec les hormones, on observe des différences entre les hommes et les femmes dans la connectivité structurelle du système nerveux, la connectivité fonctionnelle du système nerveux, la largeur du corps calleux – la structure qui lie les deux hémisphères cérébraux – , la quantité de matière grise dans la boîte crânienne, l'expérience de notre cognition, le fonctionnement de la mémoire, la réponse aux stimulis sexuels et non-sexuels, la tendance à la rumination et l'impact des stimulis négatifs. Cela ne s'arrête pas là, on peut tout autant montrer la prédominance de certaines maladies et certains désordres psychiatriques en fonction du sexe depuis des dizaines d'années... depuis que les compagnies pharmaceutiques ont découvert qu'une posologie moyenne pour un homme pouvait provoquer des surdoses chez les femmes! 
*- 
La « race » n'est pas une construction sociale 

Nous ne sommes plus à l'époque du colonialisme, du fardeau de l'homme blanc, de la mission civilisatrice et de la hiérarchisation des races par l'étude des crânes. Cette époque est révolue; les croyances en ce sens sont peu présentes dans les sociétés avancées. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il n'existe pas de différences biologiques entre les diverses populations sur la planète. En effet, Murray débute cette partie du livre avec la plus passionnante des interludes, traitant des avancés immenses dans l'étude de l'ADN et de la génétique humaine. 

L'explication est aride et dense. Elle implique de nouvelles méthodologie – l'étude de bases de données d'ADN, les analyses « par grappes » ou « cluster analysis » des profils d'ADN et les « scores polygéniques » représentant des sortes de cartes topographiques de notre génétique – qui nous permettent une nouvelle perspective pour comprendre les différences entre les populations sur la planète. Une perspective dite « complexe », non-hiérarchique, dont la précision et les capacités de prédictions vont en s'affinant de plus en plus, autant dans les pathologies d'origine génétique que pour décrire des comportements en société. C'est ainsi que l'on peut affirmer que 5) « les populations humaines ont des profils génétiques distinctifs au point de correspondre à l'auto-identification des « races » et des « ethnies ». » 

De même, avec ces analyses, on peut faire une carte historique du peuplement de la planète par l'espèce homo sapiens. Reprenant les différentes hypothèses anthropologiques soutenues aujourd'hui, Murray nous fait remarquer à quel point 6) « la pression sélective de l'évolution depuis que les humains ont quittés l'Afrique est extensive et la plupart du temps d'origine locale ». Finalement, l'étude des « scores polygéniques » permet de réaffirmer l'impossibilité de mettre les génétiques dans des hiérarchies. Bien que l'étude des sites génétiques, qui correspondent aux sites des gènes activés chez individus, permet de voir des 7) « différences dans les populations continentales, associées à des variations de personnalités, d'abilités et de comportements sociaux communs », les sites génétiques activés diffèrent aussi selon les populations étudiées. 

La classe sociale n'est pas attitrée par privilège 

Dans la troisième partie de l'ouvrage, Murray reprend le débat qui domine les sciences sociales depuis les Lumières : comment perfectionner l'individu, le rendre meilleur, l'augmenter. Le fameux débat « nature vs nurture » dans l'établissement des hiérarchies fait bouillir de rage la plupart des progressistes, surtout quand le vis-à-vis a le culot de mentionner le principe du mérite. Quelle outrage à la morale chrétienne! 

Passant en revue les études de jumeaux qui permettent de constater la causalité des gènes dans le développement des répertoires cognitifs, et donc le principe d'héritabilité génétique, ainsi que les différents modèles étudiant l'impact de l'environnement dans la croissance des enfants, Murray, à l'image des pionniers de la génétique comme Robert Plomin – lire son ouvrage de 2018 « Blueprint, How DNA makes us who we are » – en arrive à la conclusion que 8) « l'environnement partagé, la plupart du temps, joue un rôle mineur dans l'expression de la personnalité, des abilités et des comportements sociaux ». De même, il soutient que 9) « la structure des classes sociales est basée sur des différences dans les abilités avec un apport substantiel des composantes génétiques » en plus de démontrer que le statut socio-économique n'est pas d'impact dans l'établissement du QI et de la personnalité – à l'exception des impacts négatifs de mauvais milieux de vie. 

Finalement, Murray revient sur trois mouvements pédagogiques : A) le mouvement pro-estime de soi « self-esteem mouvement », B) l'idéologie des « menaces stéréotypées » pour expliquer le désintérêt des filles pour les mathématiques, et C) le mouvement de croissance personnelle « growth mindset », et de leur impact nul à l'école. Comme les réformes éducatives ou les diètes, ces croyances pédagogiques ont la plupart du temps aucun impact ou un impact qui disparaît dès que la prise en charge n'est plus quotidienne ou hedbomadaire. C'est bien en tant que professionnel qui avoue avoir échoué dans son travail que Murray dit : 10) « les interventions de l'extérieure sont contraintes à avoir peu d'effet sur la personnalité, les abilités et le comportement social ». La nature humaine est difficilement malléable telle qu'on le souhaiterait. 

Prédictions et optimisme 

Malgré la lecture négative de l'impact limité des politiques sociales du 20e siècle, Murray a choisi de terminer son livre avec trois prédictions et des points d'appuis sur lesquels nous pouvons mettre en valeur un discours universaliste et progressiste. Comme le domaine de la génétique permet les preuves de causalité et nous donne l'abilité de la prédiction, nous comprenons encore mieux l'importance d'avoir une « place de valeur » – « valued place » – dans la société, ainsi que l'importance des « sources de bien-être » – « wellsprings » – dans le développement des individus, et ce en particulier durant l'enfance. La famille, la communauté, la vocation, la foi; le fait d'être un époux, un parent, un proche, un ami, un voisin, un paroissien, un collègue, c'est la base du développement des individus. Ce n'est pas avec des programmes avec un début et une fin, ni avec des « interventions pédagogiques circonscrites dans le temps » qu'il faut mettre tous ses oeufs. Nous devons créer des lieux de socialisation en dehors des lieux supervisés où les enfants peuvent grandir et apprendre à vivre en société sans suivre des autorités par la main. Comme on dit, « ça prend un village pour élever un enfant » et tout ce que nous pouvons faire pour maximiser leur développement c'est favoriser la mixité tout en reconnaissant la diversité humaine sous toutes ses coutures, sous toutes ses formes possibles, sans hiérarchies. 

Pour ce qui est des prédictions, Murray affirme A) que « d'ici la fin de la prochaine décennie, les études quantitatives de comportements sociaux qui n'utiliseront pas les « scores polygéniques » n'auront aucune importance concrète », que B) « d'ici 2030 les poches de résistance – aux avancés génétiques – seront des poches isolées de réfractaires et que l'impact de la révolution génomique affectera toutes les disciplines de sciences sociales » – psychologie, anthropologie, sociologie, sciences économiques et politiques sociales –, et que C) la psychologie évolutive, sujet non développé par Murray dans le livre, parce qu'étant un domaine d'étude plus récent : « prendra finalement son rôle comme outil majeur afin de comprendre les différences de répertoires cognitifs à travers les sexes, les populations ancestrales, et les classes sociales. » Bien que l'orthodoxie ait pignon sur rue dans nos bons médias bobos-urbains-éduqués et bien que nos départements de sciences sociales pullulent de martyrs socio-constructivistes, il y a place à l'optimisme. Prenons appui sur ces chercheurs et profitons des récentes avancés en sciences de la santé qui proviennent directement du milieu de la génétique. Le progrès, il est dans cette direction.  

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