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La fin d'un rêve – la crise derrière l'ascension de Donald Trump

La fin d'un rêve – la crise derrière l'ascension de Donald Trump

En 2016 le monde entier est surpris par l'élection du candidat Trump. Enfin, le monde entier excepté quelques personnalités tels que Chris Hedges et Emmanuel Todd qui avaient vu, l'un en tant que journaliste sur le terrain et l'autre en tant que démographe, poindre à l'horizon un raz-de-marée populiste venant du centre des États-Unis. Malgré une avance de plusieurs millions de voix sur le vote national, Clinton perd cinq états clés, et la présidence : le Wisconsin, l'Iowa, le Michigan, l'Ohio, la Pennsylvanie et la Floride. Parmi ces états, quatre se situent au coeur de la « Rust Belt », un cinquième se situe en périphérie immédiate. Que s'est-il passé à l'Amérique profonde pour que le candidat Trump surprenne la planète et soit choisi? Là où Clinton et les libéraux – la gauche américaine – parlaient de « deplorables » en brandissant un mépris de classe envers le peuple de petits-blancs, de « white trash », le candidat Trump y est allé d'une campagne centrée sur les effets de la mondialisation : répondre à l'insécurité économique, à l'insécurité physique et l'insécurité culturelle. Encore aujourd'hui peu de gens savent que les États-Unis d'Amérique vivent depuis les années 80 leur pire crise de santé publique depuis les épidémies du début du vingtième siècle. Pour comprendre la surprise Trump, il faut plonger dans le Midwest américain.

Les perdants de la mondialisation

Avec les traités de libre-échange sont venus les délocalisations vers les économies moins réglementées et la désertification graduelle de l'industrie manufacturière américaine. Là où autrefois se situait le coeur de l'amérique automobile et militaire, donnant le nom de « Rust Belt », s'est produit l'effet d'une bombe nucléaire dans la société américaine. Dès les années 80, tous les éléments furent en place pour que se produise une épidémie d'addiction aux opioïdes de plus grande ampleur que les deux guerres de l'opium entre la Chine et l'Angleterre. Une crise avec un impact plus grand que les épidémies de crack, de SIDA et même que la guerre en Iraq. Pour mettre en perspective les éléments de cette crise de santé publique, Sam Quinones a enquêté pendant trois ans d'une rive à l'autre du pays afin de découvrir l'histoire de cette épidémie et en rendre compte dans « Dreamland » (2016). Plus récemment, un documentaire titré « The Pharmacist » et situé en Nouvelle-Orléans est disponible sur Netflix. Les mêmes éléments sont présents dans les deux ouvrages.

Les déterminants de la crise

À la même époque, plusieur éléments convergent : 1) le boom économique des médicaments contre la douleur, supporté par un marketing sauvage et illégal, très peu d'études sur le niveau de risque d'addiction des dérivés opiacés, une campagne de lobbying pour prendre en compte la douleur comme « cinquième signe vital » et un prolétariat de médecins criminels prêts à tout pour avoir un travail. Quinones raconte comment c'est dans la ville de Portsmouth que s'est créé la première « usine à pilules », qui mit des millions de comprimés de Vicodin, Oxycontin et autres molécules hyper addictives dans les mains de la classe moyenne et la haute bourgeoisie blanche américaine. Partout dans les périphéries urbaines et les campagnes, des enfants de la petite et haute bourgeoisie devinrent accrocs à ces médicaments, recherchant des doses de plus en plus élevées pour combattre l'accoutumance et éviter un sevrage de plus de trois mois – durée normale avant de ravoir des circuits neuronaux désacoutumés à la molécule addictive.

Ce n'est que le début, 2) avec l'ouverture des fontières, une innovation des marchés illicites provenant du plus petit état du Mexique, l'état de Nayarit, « 80 milles au nord de Puerto Vallarta, juste avant Tepic », traverse la frontière aux États-Unis. Des ranchers isolés, trafiquants et producteurs de « black tar », une gomme ressemblant au goudron et pure à 80% – standard – d'héroïne, mettent en place un modèle d'affaire d'auto-entrepreneurs aux quatres coins de l'Amérique. Trois règles : aucune vente à des noirs « parce qu'ils sont violents », jamais à New-York, Los Angeles, Chicago ou en Floride « à cause des cartels et des gangs de rues » et aucune violence. La méthode de mise en marché et de vente est simple : on cible les cliniques contre la douleur et les usines à pilules, on prend contact dans un nouveau marché avec un accrocs, on vend en petites doses seulement, dans des ballons cachés dans la bouche – on avale quand la police se présente – celui qui prend les appels contact un livreur qui se présente directement au domicile. Le service parfait pour une clientèle déjà accroc aux opiacés et à un coût quatre fois inférieur – 20$ vs 80$ par jour.

De même, 3) avec la perte graduelle des industries, des miliers de travailleurs commencèrent à vivre des suppléments de revenus du gouvernement américain, comprenant une carte d'argent pour rembourser des médicaments... comme l'Oxycontin. Une économie secondaire se forme autour des cliniques contre la douleur et des usines à pilules : des junkies en auto traversent les frontières des états les moins à cheval sur les réglements de vente d'opiacés afin de se faire prescrire les médicaments pour les vendre à leur tour – 80$ la pilule dans la rue – et racheter de l'héroiïne à prix inférieur. Enfin, les plus ingénieux et capables de tenir pratiquent cet escroquerie, là où la majorité se fait plutôt exploiter par les préteurs en plus de rester captif des auto-entrepreneurs venant de Nayarit. Quand un accrocs tente d'arrêter la drogue un livreur se présente à son domicile avec des doses gratuites en disant « pour fêter, une dernière fois? ». Le modèle d'affaire parfait avec ses consommateurs captifs.

Le résultat de la crise

Vers la fin des années 2000 – de 2003 à 2008 – les autorités de santé publique découvrent l'ampleur de l'épidémie. Dans certains comtés, c'est plus d'une surdose mortelle par jour. Les communautés qui représentent l'électorat républicain typiques sont ravagés non pas dans les milieux populaires, mais dans les familles les plus à l'aise financièrement. De jeunes footballers des plus grandes universités, des cheerleaders de bonne famille et des travailleurs en arrêt de travail se voient prescrire ces molécules pour quelques mois, jusqu'à sniffer directement le produit et finir par se l'injecter directement... un pont parfait pour passer à l'héroïne du marché noir. Et puis, c'est la descente aux enfers; les thérapies à répétition menant lentement vers la surdose mortelle.

La place de la religion


Pour rajouter au calvaire, cette crise de santé publique s'est produite au moment d'un creux dans la pratique religieuse américaine. En réaction, les villes comme Portsmouth, les plus touchées par cette crise, se relevèrent grâce à un regain de la ferveur religieuse. Il décidèrent de reconstruire autour de leurs traditions. De même, la campagne présidentielle de Trump ne parla pas des immigrants illégaux parce que Trump est raciste, mais bien parce que ce fléau s'est importé du Mexique en même temps que se sont exportés les manufactures américaines. Là où l'élite éduquée des grands centres urbains parlait aux minorités de toutes sortes en méprisant l'agent orange et les petits blancs, Trump choisit plutôt de répondre aux inquiétudes de l'Amérique profonde : rappatrier les industries et des emplois, fermer les frontières aux réseaux criminels et redonner un sentiment de confiance là où se trouvait l'insécurité la plus totale envers le futur de toutes ces communautés. Partout les indices laissaient présager l'élection de Trump, il fallait simplement savoir où regarder.

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