La politique
lorsqu'on vit dans un comptoir de change
Nous sommes aux
portes d'une autre campagne électorale fédérale sans réel enjeu
national. Nous regardons cette régionalisation du vote, suivant les
fuseaux horaires, un peu ébahis des contradictions évidentes de
tous les partis politiques qui se peignent comme
environnementalistes et pro-croissance économique en même temps.
D'un côté on nous martèle qu'il faut changer, tout en niant de la
même manière la spécificité du Canada dans l'économie
mondialisée : il est difficile d'assumer que le Canada – et
le Québec – soit un comptoir de change pour les intérêts
financiers de la planète, sans mettre en péril le futur économique
– et donc l'état social québécois – du « Rest of
Canada ». C'est dans cette optique précaire que la lecture de
« L'état succursale, la démission politique du Québec »
du candidat bloquiste Simon-Pierre Savard-Tremblay se trouve être
rafraîchissante; il cherche à se positionner clairement en faveur
des intérêts nationaux des Québécois. C'est dans ce sens que
malgré plusieurs désaccords de fond je salue la démarche comme
étant symbole d'une recherche approfondie de la situation
québécoise de 2016 (l'année de sa sortie) et que sa lecture reste
contemporaine.
Dresser la table
pour l'indépendance
Que cela soit au
sujet du renouveau pédagogique et de la pédagogisation gauchiarde
de la profession d'enseignant, de la nouvelle religion du
progressisme intersectionnel racialisant et totalitaire, de la prise
de contrôle des sièges sociaux et des marchés québécois par des
fonds prédateurs étrangers, de la reproduction sociale
universitaire des citoyens du monde conspuant la plèbe ou du
népotisme petit bourgeois de nos bonnes élites cosmopolites de
Montréal et Québec se vautrant dans leurs cocktails mondains d'une
fin de semaine à Barcelone, le portrait est sans ambages; le modèle
de l'État-providence se fissure de partout sous la pression
marchande, et peu de gens comme SPST semblent même s'en rendre
compte. En sous-titre, c'est la démission des « élites
politiques » du Québec, qui ont sacrifié le « bien
commun » sur l'hôtel de la nation : « Pour liquider
une nation, il faut enfermer légalement son État pour le
contraindre à l'impuissance, saper ses instruments collectifs,
promouvoir son déracinement, culpabiliser le peuple, dévoyer
l'éducation pour former des élites apatrides et imposer la croyance
qu'il est impossible de s'écarter d'un chemin prédéterminée Il
faut, surtout, sous la bannière de la « compétitivité »,
rendre l'État parfaitement perméable aux intérêts privés et
limiter sa vocation à favoriser la circulation du capital. Les
élites déracinées n'en ont que pour la mondialisation, porteuse de
toutes les vertus et qui constituerait toujours pour elles le seul
avenir possible. »
Prendre en main les
outils de l'État québécois
En deuxième couche
d'analyse, SPST tente de dresser le paradigme de l'indépendance afin
de mieux cerner les enjeux importants de l'époque. C'est à partir
de ce moment que j'ai commencé à y voir une retour en arrière que,
personnellement, je trouve inconséquent devant les exemples
internationaux et la réalité géopolitique québécoise. En effet,
pour combattre l'esprit de la mondialisation libérale et l'idéologie
« globalitaire » des citoyens du monde, il prône à un
retour vers l'État-providence et le bien commun dans la gestion des
appareils de l'État. C'est là où le bât blesse : « le
problème de notre époque n'est pas l'État, mais son détournement.
À mon sens, le réinvestissement des institutions démocratiques est
la seule issue possible. » Cette lecture serait sans doute
partagée par un Jacques Parizeau, mais elle n'est pas du tout
confortée par les exemples internationaux d'États-nations cherchant
à mettre les freins devant la mondialisation. L'Écosse dans le
Brexit, l'Italie et la Grêce devant l'Union Européenne, la France
devant les GAFAs et avec l'accord de libre-échange avec le Canada, la Catalogne face à l'Espagne, le peuple anglais devant ses élites,
partout la souveraineté populaire et démocratique comme modèle
politique subit des revers, et partout les populismes se radicalisent
en réaction. Non je ne crois pas à ce paradigme pour prendre en
charge la destinée des Québécois, mais même si ce véhicule
paradigmatique n'est plus primaire, il est évident pour moi qu'il
reste un rôle à jouer à l'État québécois afin de s'attaquer à
l'esprit de la mondialisation et ses effets dans la société
québécoise.
Les nouveaux lieux
de pouvoir et la république
Bien que je salue
l'apport du livre dans sa manière de concevoir des choix politiques
clairs, je crois que les solutions de SPST ne peuvent qu'être mises
de côté par la puissance des GAFAs, des USA, de la Chine et des
traités de libre-échange signés par le Canada. Bien que l'analyse
soit très bien ficelée dans la généalogie de la perte de pouvoir
de l'état québécois par ses élites, le réinvestissement du
« bien commun » comme critère économique implique
d'emblée des luttes de pouvoir en face des corporations transnationales
beaucoup plus puissantes que l'état québécois. Nous l'avons vu
avec Rona, tel que décrit dans le livre, mais aussi dans la prise de
contrôle de la C-Series de Bombardier, GRATUITEMENT, par la géante
Airbus européenne. En fait, nous sommes déjà dans les limbes et
c'est dans cette perspective que nous devons commencer plutôt à
investir le paradigme de la guerre commerciale mis en lumière par
Trump et ses tarifs douaniers, le paradigme de la course
technologique tel que mis en lumière par le retour de la course vers
la lune (Israël et l'Inde qui ont eues des tentatives ratées
d'alunissage dans la dernière année) ou encore par l'émergence du
pouvoir des GAFAs – et des BATX chinoises, donc de la Chine –, et
finalement le paradigme de la géostratégie tel que brillamment
utilisé par Poutine afin de remettre la Russie au centre de
l'échiquier mondial – un des seuls qui aura mis en échec les
appareils stratégiques de la mondialisation libérale. En conclusion,
un ouvrage parfait pour entreprendre une éducation rapide de la
situation québécoise dans le monde d'aujourd'hui, mais qui est
selon moi surtout une manière de commencer une réflexion que de la
terminer.
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