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Le Canada est-il une nation?

Le Canada est-il une nation?

C'est une nuit de pleine lune et le couvert nuageux est bas. Le vent est faible, la mer est calme et la marée basse. La visibilité est parfaite et les jours suivant les conditions seront les mêmes. Tout est prêt pour envahir la Normandie. C'est dans ces conditions que ce matin-là quinze milles soldats canadiens débarqueront sur les côtes françaises par la terre et par les airs. Cette guerre contre la dictature totalitaire, à une époque où la politique se pensait encore, fût un moyen pour le Canada de s'affirmer en tant qu'état souverain. La notion est contre-intuitive pour les bonnes femmes et autres pacifistes endimanchés, mais il est important d'admettre d'emblée que le monde est un endroit violent, que l'histoire est tragique et que c'est par la guerre que les destinés nationales deviennent des récits de l'Histoire. Il est bon parfois de rappeler que la négativité vient avec tout ce qu'il y a de beau en ce bas-monde. C'est un « package-deal »; on ne peut pas faire sans.

Certains, comme notre premier ministre Justin Trudeau, en sont venus à croire que le Canada serait un « état post-national » où le multiculturalisme comme religion d'état, les droits collectifs transpirant de la charte canadienne et la séparation en communautés d'appartenance ethnico-religio-raciales formeraient le triptyque de l'utopie canadienne à venir. Heureusement que d'autres, plus cultivés et scrupuleux au niveau de l'histoire et des pratiques institutionnelles, sont là pour venir refroidir les ardeurs de ces jeunes éduqués déracinés et endoctrinés par le « soft power » américain; cette culture populaire de Netflix et des GAFAs (Google,Amazon, Facebook, Apple) ou encore ces luttes intersectionnelles de dortoirs universitaires.

Que nous apprend l'histoire passée et récente? Que c'est un peu plus compliqué.

Le Canada est une fédération avec un gouvernement central fort, centralisé à Ottawa, avec des pouvoirs économiques et politiques très puissants et très peu de contre-pouvoirs pour limiter son ingérence dans les affaires des provinces et des territoires. C'est aussi un état pseudo-démocratique car les pouvoirs exécutifs et législatifs s'y cumulent, et le bureau du premier ministre y occupe une place beaucoup trop importante pour la charge d'un seul homme. De même, en constatant les failles de la démocratie canadienne peut-on voir qu'en même temps d'être un état-souverain construit par deux nations qui s'inscrivent dans l'histoire - avec le support d'une multitude de nations autochtones – le Canada, et aussi le Québec d'ailleurs, ont gardé leur identité d'antan : celle du comptoir de change.

Le Canada est un pays de frontières comme très peu de pays le sont sur terre. Trois côtes avec des océans, la plus grande frontière commune partagée entre deux états, des milliers et des milliers de lacs et de rivières, de forêts et de glaciers inhabités par l'homme. C'est un pays à la périphérie de la civilisation, constamment en contact avec l'Autre, qu'il soit un cerf, un immigrant ou une météo difficile à vivre. Il faut être fait fort pour subir les aléas de la vie dans un pays de frontières comme le nôtre. C'est cette force qui nous identifie en temps que peuple nordique et accueillant, et c'est cette vaillance qui est partagée d'est en ouest, d'un océan à l'autre. Pas de besoin de voyager loin pour la remarquer.


Le Canada est aussi une superpuissance technologique, un état mercenaire, une oligarchie rentière de l'État et un paradis fiscal post-national. Avec la main-mise des intérêts corporatifs transnationaux sur les partis libéraux fédéraux et provinciaux – historiquement le « national governing party » - , et aussi chez leurs alternatives, il est difficile de penser la nation, le progrès et la question sociale en acceptant la réalité présente comme horizon indépassable. Difficile de penser le fait politique quand une caste sortant des bancs universitaires s'évertue à refuser de penser la nation québécoise comme culture, comme histoire, comme fierté, et... peuple combattant pour la liberté. Non pas comme une nation génocidaire assoiffée de relations de pouvoir et d'oppression. Pensons le Québec pour ce qu'il est et ce qu'il peut être, puis pensons ce Québec par la démocratie plutôt que par la révolution technocratique. Pensons à ces braves qui sont morts pour la patrie et la démocratie. Pensons à ce pays qui n'est pas fini d'être construit et à cette nation québécoise qui a soif de liberté.

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