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Atomisation et élitisme: Comment - le pacte - ne répond absolument à rien

Atomisation et élitisme: Comment - le pacte - ne répond absolument à rien

« Mais lorsque Zarathoustra fut seul, ainsi dit à son cœur : » Serait-ce chose possible ? Ce saint vieillard, en sa forêt, encore n'a pas ouï dire que Dieu est mort ! » - Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche

« Dieu est mort ! Ces mots si durs aux oreilles de l'homme résonnent à travers le temps, parcourent les distances les plus lointaines et inimaginables pour nos ancêtres et ne cessent d'être niés au profit de mythes et légendes toujours plus invraisemblables les unes que les autres. Dieu est mort et c'est l'homme qui l'a tué nous martèle le prophète Zarathoustra. Malgré tout, l'histoire est incomplète. L'Odyssée qui aura provoqué cette mort annoncée n'aura jamais été écrite. Elle n'est pas terminée. Elle ne le sera sans doute jamais. Dieu est mort, et ce, pour de bon, mais le nihilisme ne peut combler le vide qui s'est insinué dans le monde de l'homme. Dieu est la manifestation idéalisée de ce vide tout en étant incapable « d'être » autrement qu'à travers l'homme. 

« Certains disent que c'est le nihilisme qui a tué Dieu, mais ce nihilisme ne cesse d'être rabattu dans les marges d’inter-mondes construits par l'homme pour y être oublié par quelques générations. Sa mort fût annoncée et écrite bien avant cela, lorsque l'homme commença à prendre la mesure du monde dans lequel il était. Plus l’homme a été capable de comprendre comment les formes de l’existence s’organisaient et plus il fût à même de comprendre ce qui auparavant revêtait les formes de la manifestation divine. Dieu perdit en puissance grâce à ces nouvelles formes de folie raisonnée. Ainsi, plus la réalité de la foi se trouva circonscrite dans un espace limité et plus l’homme en vînt à la conclusion qu’il devait construire de nouveaux dieux, des dieux qu’il nomma « Empire », puis, beaucoup plus tard, « État-nation ». 

« C'est pour se protéger de ce monde effrayant et sans Dieu que l'homme créa cet Homme artificiel ; ce Léviathan qui agirait pour mettre fin à « la guerre de tous contre tous » : « C'est l'art, en effet, qui crée ce grand LÉVIATHAN, appelé RÉPUBLIQUE ou ÉTAT qui n'est autre chose qu'un homme artificiel, quoique de stature et de force plus grandes que celles de l'homme naturel, pour la défense et la protection duquel il a été conçu. » (Léviathan, Thomas Hobbes). Ce Léviathan est créé afin de protéger la polis, la cité et le bien public, lorsqu'il fût évident pour l'homme, et sa mesure de lui-même, que Dieu, par le biais de ses serviteurs s'attaquait aux corps et à l'âme des citoyens. Il fût banni, puis chassé, et finalement tué par le Léviathan. 

Cette histoire est écrite par l'homme occidental. Elle est inscrite dans sa langue séculaire, dans ses livres, dans son art, dans sa culture et dans sa domination sur le reste de la planète. C’est la manière dont les États modernes ont justifié les documents légaux et institutions, ainsi que le contrat social derrière cette créature gigantesque décrite par Hobbes. C'est ainsi que l'homme moderne engraissa son Léviathan à un rythme qui ferait honte à l'éducation du jeune Gargantua, la créature célèbre de Rabelais. » - (L'Hydre, chapitre 3, le Tyran, Yann Roshdy)

Le Léviathan est la solution trouvée par l'homme moderne pour encadrer les individus qui vivent circonscrits dans des lieux de plus en plus habités. La crise de ce modèle est inhérente à sa formation; le corps du Roi ou le corps de la souveraineté démocratique, remis tour-à-tour en question à travers les cercles révolutionnaires et progressistes qui se manifestent dans la société. Certains États-nation ont inscrits dans leurs traditions modernes l'État-révolutionnaire – le renversement et le remplacement d'une élite par une autre - , tandis que d'autres préfèrent à celui-ci l'État-démocratique – la délibération constante et le progrès vers le consensus au sein du peuple et de ses représentants - ; question de géographie et d'alimentation dirait sans doute Nietzsche.

De l'État-nation à la première grande ère des masses atomisées

Comme je l'ai dit plus haut, inhérent au projet de l'État-nation se juxtapose une crise de sa légitimité perpétuelle, car, en plus des troubles sociaux vécus dans les populations se sont mêlées plusieurs révolutions en dehors du contrôle de la polis : des révolutions industrielles, technologiques, éducatives et culturelles. Sous tous ces angles, où s'impose la notion de « progrès », se mêle un nouveau phénomène de la modernité : la formation des masses atomisées.

« Arendt consacre de nombreuses pages aux masses atomisées, à la populace, à leurs liens avec les élites de la société, et ce qui caractérisent sociologiquement ces groupes de manière si différente aux notions de « classes sociales » présente chez les marxistes ou encore celui de « peuple » pris comme un tout cohérent nationaliste. Pour arriver au niveau d'atomisation des deux guerres mondiales – un niveau où il est capable de penser le génocide et l'holocauste comme instruments politiques - il aura fallu plusieurs siècles et plusieurs guerres préalables. Ainsi, avant l'invention du régime totalitaire, il aura fallu des mouvements de populations immenses, une déshumanisation de classes entières d'individus, une misère sociale constante parcourant les époque et la prise en main du politique par des « hommes forts » répondant à des moments politiques uniques afin de devenir ces nouveaux Tyrans de la totalité des existences, fussent-ils rouges ou bruns. 

« Le nombre d'Exilés au sein de la société est toujours sous-évalué. Un peu à la manière des trous noirs, ce qui caractérise les masses atomisées n'est pas visible et généralisable du fait de la multitude des profils qui les constituent. Tout ce qui est perceptibles pour l'observateur aguerri du phénomène, c'est la présence d'enchaînements de causes et d'effets dans l'environnement immédiat du trou noir sociétal. Ce que nous voyons comme observateurs de la vie publique ne sont que les manifestations abstraites des foules, ses cris incohérents, son explosion de perspectives contradictoires, ses tentatives pour se révolter et son économie de la nécessité qui amènent ces individus atomisés à oublier peu à peu toutes les notions de morale qui étaient auparavant acquises durant l'éducation familiale et religieuse : « Ce qui caractérisa l'essor du mouvement nazi en Allemagne et des mouvements communistes en Europe, après 1930, c'est qu'ils recrutèrent leurs adhérents dans cette masse de gens apparemment indifférents auxquels tous les autres partis avaient renoncé, les jugeant trop apathiques ou trop stupides pour mériter leur attention. » (idem)

« Ce que vit l'Exilé en face de la surveillance, de cet isolement et ce contrôle total de la vie, c'est avant tout une répulsion et une méfiance face à l'État; un mélange de cynisme et d'apathie devant toute forme d'autorité et institutions sensées le protéger des troubles inhérents à la société. Arendt poursuit :« Le succès des mouvements totalitaires auprès des masses sonna le glas de deux illusions pour les démocraties en général, et pour les États-nations européens et leur système des partis en particulier. La première illusion voulait que le peuple, dans sa majorité, eût pris une part active au gouvernement, et que tous les individus se reconnaissent dans tel ou tel parti. Au contraire, ces mouvements montraient que les masses politiquement neutres et indifférentes pouvaient facilement constituer la majorité dans un pays gouverné démocratiquement : par conséquent, une démocratie pouvait fonctionner selon des règles qui ne sont activement reconnues que par une minorité. Selon la seconde illusion démocratique (...) , ces masses politiquement indifférentes étaient sans importance, réellement neutres, et ne constituaient que la toile de fond muette de la vie politique nationale. » Là est l'erreur du Tyran; sa sous-évaluation constante de l'effet des expériences de folie vécues par les masses; par les individus exilés su sein de cette société mondialisée. » (L'Hydre, chapitre 3 : le Tyran, Yann Roshdy)

De la sociale-démocratie productiviste à la seconde grande ère des masses atomisées

Pour répondre au besoin d'effacer les erreurs des grandes guerres et mettre fin à la première grande ère des masses, les corps démocratiques représentatifs, épaulés par les grands industriels, ont fait assumer par les Léviathans des charges sociales de plus en plus importantes. Il s'agit de l'émergence de la sociale-démocratie anglo-saxonne comme modèle ordolibéral. Cet environnement perdura pendant près de trois générations. Jusqu'à l'achèvement de la mondialisation telle que nous la vivons aujourd'hui : comme régime totalitaire libéral. La différence entre la première et la seconde grande ère des masses est troublante. Dans la première, les classes sociales se sont effondrées aux préalables. Aujourd'hui, ces classes se sont reconstituées, mais seulement au niveau d'une proportion minoritaire des populations occidentales. 

Dans ses livres et ses conférences, Emmanuel Todd nous décrit ce phénomène. Dans les sociétés avancées dites « libérales » s'est formée une caste éducative et géographique privilégiée regroupant 30 à 40% de la population : les universitaires urbains diront certains, d'autres diront les nouveaux bobos. Au sein même de cette caste se retrouve une sous-stratification où le type d'études représente un niveau social et un prestige propre au milieu où baigne les jeunes écoliers narcissiques contemporains. Pour le reste de la population ayant un degré divers de réussite dans ses études secondaires – et un échec à se soumettre aux principes de l'éducation post-secondaire - , la mondialisation aura été synonyme d'effondrement de la classe ouvrière, l'effondrement des modèles familiaux traditionnels et, au final, un retour à l'État d'atomisation.

Michel Foucault voyait venir ce phénomène dans son « Histoire de la sexualité » ayant comme but de décrire la généalogie de l'emprise de la civilisation judéo-chrétienne sur le corps des individus. Le premier volume mettait en lien l'époque victorienne comme précurseur à la société contemporaine; c'était « la volonté de savoir ». Poursuivant son chemin, Focuault choisit de revenir vers les Pères de l'Église mais n'est pas satisfait par son travail. Il va même jusqu'à remettre en question le fil conducteur de sa recherche. C'est soutenu par ses pairs qu'il décide de plonger plus loin au coeur de notre civilisation. Il part vers la Grèce et la Rome antiques afin de mieux cerner les expériences civilisationnelles qui ont menées à la gestion de la vie telle que nous la vivons dans l'État-nation d'aujourd'hui. Je crois même, en regardant le dernier titre de son modèle pour « L'histoire de la sexualité » - Population et races – , qu'en fait, il avait vu venir le retour possible de l'atomisation des masses due à la concentration des individus dans des lieux de plus en plus renfermés; dans une sorte de panoptique généralisée... une technologie qui existe désormais. 

Ainsi, en suivant le récit mythologique de Hobbes, l'affirmation solennelle et « nihiliste » de Nietzsche, la description des masses d'Arendt et la généalogie de la sexualité de Foucault, le portrait de la société qu'il nous est possible de peindre n'est pas reluisant et peu flatteur pour la mondialisation ordolibérale. Cette faillite intellectuelle des libéraux à répondre aux conséquences de la mondialisation, dans une durée qui évite l'atomisation des masses, est totale et le résultat de ceci est visible dans les clivages éducationnels, ethniques, « raciaux » même, et géographiques qui se multiplient. Ces clivages se renforcent via les politiques identitaires assumées autant à gauche qu'à droite, la petitesse des vedettes de la société de consommation – nos seuls modèles de vertus -, et le cloisonnement des élites éducatives dans un entre-soi qui dépasse de fait l'entre-soi des noblesses qui prévalait lorsque le corps du Roi état sacré. Cette faillite des idées est tellement complète que la seule chose qui nous est proposée par ces élites mondialistes, c'est des cierges, des marches commémoratives et des pactes de consommation mondains; un signalement de vertu perpétuel qui renforce le mépris et le cynisme des masses que ces vedettes croient diriger malgré leur stature d'adolescent prépubère.

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