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Des trois commerces de Montaigne et du mouvement « #MeToo »

Des trois commerces de Montaigne et du mouvement « #MeToo »

Dernièrement, c'était le premier anniversaire du « mouvement #MeToo ». Un mouvement politique non-partisan appelant les individus à dénoncer publiquement, via les médias sociaux, les actes de violence sexuelle qu'ils ont vécus. À travers ce phénomène extra-judiciaire, qui rend compte de l'échec du modèle juridique étatique dans la gestion des plaintes des victimes de ce genre d'actes, plusieurs thématiques se retrouvent abordées de biais : les relations sociales et le consentement sexuel, les relations de pouvoir, la présomption d'innocence et les fausses accusations potentielles, l'efficacité des institutions judiciaires, des outils législatifs ou encore l'humanité des enquêteurs de police. Malgré tant de vertus affichées, après une année de dénonciations publiques; une année où chaque semaine nous donne son lot d'histoires d'êtres socialement ou sexuellement inaptes, voir même dangereux, il est important de constater quelques débordements à éviter dans le futur. Par exemple celui de l'expansion de cette lutte pour englober désormais des « comportements, paroles et gestes » qui choquent. Mettant ces actes au même niveau que les autres types de violence sexuelle. Comme si le ressenti subit par le fait d'être choqué était une violence et que l'État devait réagir promptement et autoritairement dans les rapports entre les individus. Judiciariser avant de réfléchir.

Pour bien traiter de ce sujet avec l'aide de mon copain Michel, je me suis dit qu'il serait intéressant de pratiquer l'art du pillotage à la manière des libertins. C'est ainsi que je me suis mis en piste, comme Cyrano de Bergerac ou Saint-Èvremond l'ont sans doute fait auparavant, reprenant mes trois volumes des Essais à la recherche des passages libertineux qui pourraient alimenter l'auditoire du Guignol's band. Je regarde mes notes et commence à cumuler un nombre effarant de passages savoureux... plus de 30 chapitres et une centaine de passages pouvant nous éclairer sur ces sujets! Que faire! Trop peu de temps...

Après deux soirées de travail acharné, éclairé à la bougie, plongé tête première dans ces manuscrits centenaires, j'arrive au troisième chapitre du troisième volume; le chapitre intitulé « Des trois commerces ». Sous le titre du chapitre, trois points écrit à la plume de mon propre chef, les indications d'un trésor : 1) la société, compagnie, amitié, 2) le sexe 3) les livres. Pour Michel de Montaigne, toute la vie d'un homme – ou d'une femme – comme quête de sens se résume à ces trois commerces.

Montaigne débute le chapitre : « Il ne faut pas se clouer si fort à ses humeurs et complexions. Notre principale suffisance, c'est savoir s'appliquer à divers usages. C'est être, mais ce n'est pas vivre que se tenir attaché et obligé par nécessité à un seul train. Les plus belles âmes sont celles, qui ont plus de variété et de souplesse. » et ajoute « La vie est un mouvement inégal, irrégulier, et multiforme. Ce n'est pas être ami de soi, et moins encore maître, c'est en être esclave, de se suivre incessamment, Et être si pris à ses inclinations, qu'on n'en puisse fourvoyer, qu'on ne les puisse tordre. ». L'existence de chacun tel un mode de vie auquel nous sommes plus contraints que libres. Cette vision tragique et individualiste propose malgré tout une éthique à suivre. Montaigne souligne à partir de sa propre vie  : « La plupart des esprits, ont besoin de matière étrangère, pour se dégourdir et exercer : le mien en a besoin, pour se rassoir plutôt et séjourner, vitia otii negotio discutienda sunt (Il faut dissiper les vices et l'oisiveté par l'activité). Car son plus laborieux et principal étude, c'est, s'étudier soi. » C'est bien ici l'objet de l'étude de ces trois commerces.


- Le premier commerce : l'amitié, la société, la compagnie

Du premier commerce, Montaigne y va d'un long plaidoyer épicurien : « Les hommes, de la société et familiarité desquels je suis en quête, sont ceux qu'on appelle honnêtes et habiles hommes : L'image de ceux-ci me dégoûte des autres. C'est à le bien prendre, de nos formes, la plus rare : Et forme qui se doit principalement à la nature. La fin de ce commerce, c'est simplement la privauté, fréquentation, et conférence : L'exercice des âmes, sans autre fruit. En nos propos, tous sujets me sont égaux. Il ne me chaut qu'il y ait, ni poids, ni profondeur : La grâce et la pertinence, y sont toujours, Tout y est teint d'un jugement mûr et constant, Et mêlé de bonté, de franchise, de gaieté et d'amitié. (...) Je connais mes gens au silence même, et à leur sourire même, Et les découvre mieux à l'aventure à table, qu'au conseil. » Une position existentielle que Spinoza reprendra sous le terme des « affinités électives » sans aucun doute non? La politique du jardin pour gérer les cercles de l'amitié. Allier les plaisirs gustatifs et les plaisirs de la conversation. Pour accompagner cet état d'esprit général, Montaigne parsème ses Essais de chapitres sur les valeurs à adopter dans son existence. Des valeurs qui prennent pieds dans les modèles de vie à imiter, à répliquer situées dans l'Antiquité qui peuple sa propre pensée. Il mentionne la confiance envers son prochain qui attire la confiance; il affirme solennellement l'importance de l'amitié; appelle à la modération dans le commerce des vertus; implore le lecteur à ne pas juger autrui selon ses propres standards; rappelle avec insistance que la mauvaise conscience tourne autour des actes de méchancetés; que surpasser sa tendance vers la cruauté est la plus grande vertu de toute; et que la médisance vient avec la gloire et la grandeur.

Sur la confiance dans l'établissement d'un rapport avec un inconnu, Montaigne nous rappelle l'importance de cette « bonne foi » pour éviter d'attiser ou d'attirer les passions tristes des hommes (XXIV, p 290 - tome I) : « habita fides ipsam plerymque fidem obligat (Le plus souvent, la confiance oblige à la confiance). À une vie ambitieuse et fameuse, il faut au rebours, prêter peu, et porter la bride courte aux soupçons : la crainte et la défiance attirent l'offense et la convient. »

De l'amitié, il en distingue d'une part l'amour et l'amitié (XXVIII, p 373, tome I) : « Amorem conatum esse amicitiae faciendae ex pulchritudinis specie (L'amour est un effort pour fonder une amitié à partir de la vue de la beauté) », puis enchaîne sur l'amitié : « Omnino aminicitiae corroboratis jam confirmatisque ingeniis et aetatibus, judicandae sunt (Pour tout dire, on doit juger des amitiés une fois que les caractères et les âges sont parvenus à maturité et se sont affermis). Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointance et familiarités nouées par quelques occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié, de quoi je parle, elles se mêlent et se confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel, qu'elles effacent, et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : Parce que c'était lui : parce que c'était moi. ». « Lui », c'était Étienne de la Boétie. Une grande amitié utilisée comme modèle d'humanisme et de fraternité.

De la modération, Montaigne en parle plusieurs fois dans les Essais. Il mentionne surtout l'importance de la modération dans l'expression des vertus (XXX, p385, tome I) : « Comme si nous avions l'attouchement infect, nous corrompons par notre maniement les choses, qui d'elles-mêmes sont belles et bonnes. Nous pouvons saisir la vertu, de façon qu'elle en deviendra vicieuse : si nous l'embrassons d'un désir trop âpre et violent. Ceux qui disent qu'il n'y a jamais d'excès en la vertu, d'autant que ce n'est plus vertu, si l'excès y est, se jouent des paroles ».

Sur le fait de juger autrui, Montaigne y va d'une vision cumulant pyrrhonisme, épicurisme et stoïcisme pour montrer la futilité de l'exercice (XXXVII, 429 – tome I) : « Je n'ai point cette erreur commune, de juger d'un autre selon que je suis. J'en crois aisément des choses diverses à moi. Pour me sentir engagé à une forme, je n'y oblige pas le monde, comme chacun fait : Et crois et conçois mille contraires façons de vie : Et au rebours du commun, reçois plus facilement la différence que la ressemblance en nous. Je décharge tant qu'on veut un autre être de mes conditions et principes, et le considère simplement en lui-même : sans relation : l'étoffant sur son propre modèle. »

À propos de la mauvaise conscience, il enseigne qu'elle finira par causer la fin de celui qui a posé l'acte mauvais (V, p59 – tome II) : « la peine suit de bien près le péché : car il dit qu'elle naît en L'instant et quant et quant le péché. Quiconque attend la peine, il la souffre, et quiconque l'a méritée l'attend. La méchanceté, fabrique des tourments contre soi. Malum consilium consultori pessimum (Un mauvais dessein est encore pire pour celui qui l'a conçu),comme la mouche guêpe, pique et offense autrui, mais plus soi-même, car elle y perd son aiguillon et sa force pour jamais, vitasque in vulnere ponuni (et elles laissent leur vie dans la blessure qu'elles infligent). »

À propos de la cruauté, Montaigne éprouve le besoin de rappeler que cet un acte de vertu que d'être capable par la raison d'éviter de répondre à l'offense par une acte de cruauté (XI, p 138 – tome II) : « Il me semble que la vertu est chose autre, et plus noble, que les inclinations à la bonté, qui naissent en nous. Les âmes réglées d'elles-mêmes et bien nées, elles suivent même train, et représentent en leurs actions même visage que les vertueuses : Mais la vertu, sonne, je ne sais quoi, de plus grand et de plus actif, que de se laisser par une heureuse complexion, doucement et paisiblement conduire à la suite de la raison : Celui qui d'une douceur et facilité naturelle, mépriserait les offenses reçues, ferait chose très belle et digne de louange : Mais celui qui piqué et outré, jusques au vif, d'une offense, s'armerait des armes de la raison contre ce furieux appétit de vengeance : et après un grand conflit s'en rendrait enfin maître, ferait sans doute beaucoup plus : Celui-là ferait bien, cettui-ci vertueusement : L'une action se pourrait dire bonté, l'autre vertu : Car il semble que le nom de la vertu présuppose de la difficulté et du contraste et qu'elle ne peut s'exercer sans partie. »

Pour relativiser le phénomène de la médisance des vedettes sur les réseaux sociaux, on peut se référer au chapitre « De l'incommodité de la grandeur ». Les médias étant une loupe sur la vie des acteurs tout autant qu'un projecteur pour le spectacle, les vedettes sont soumis à un destin qui ne dépend pas d'eux un peu comme les héros des mythologies grecques et romaines qui ont peuplées la vie de Montaigne (VII, p 193 – tome III): « Puisque nous ne la pouvons aveindre, vengeons-nous à en médire : Si n'est pas entièrement médire de quelque chose, d'y trouver des défauts : il s'en trouve en toutes choses, pour belles et désirables qu'elles soient. » Tous les héros, tous les poètes, tous les hommes de grandeur ont leurs failles, leurs faiblesses, leurs vices. C'est pour cela que Montaigne enseigne à se grandir soi-même plutôt que pour atteindre la scène du spectacle médiatique : « Quand je pense à croître, c'est bassement, d'une accroissance contrainte et couarde, proprement pour moi : en résolution, en prudence, en santé, en beauté, et en richesse encore. » Leçon épicurienne.

- Le deuxième commerce : Le sexe

Le second commerce est celui de notre sexualité; nos désirs de jouissance. Marie de Gournay, l'élève spirituelle, la concubine, l'éditrice des Essais et l'héritière de Montaigne mentionne, dans la préface d'une des éditions des Essais, avoir enlevé ou obscurci quelques passages où Montaigne mentionnait des anecdotes sur sa jeunesse libertineuse. D'ailleurs, elle mentionne aussi qu'elle garde certains passages libertins en latin afin de rendre plus difficile les critiques de ceux qui voyaient une hérésie dans le traitement de ces sujets.

Du « commerce des belles femmes », Montaigne témoigne donc ainsi : « C'est aussi pour moi, un doux commerce, que celui des belles et honnêtes femmes. (...) Si l'âme n'y a pas tant à jouir qu'au premier, les sens corporels qui participent aussi plus à cettui-ci, le ramènent à une proportion voisine de l'autre. Quoique selon moi non pas égale. Mais c'est un commerce où il se faut tenir un peu sur ses gardes, Et notamment ceux en qui le corps peut beaucoup, comme en moi. Je m'y échaudai en mon enfance, et y souffris toutes les rages, que les poètes disent advenir à ceux, qui s'y laissent aller sans ordre et sans jugement. Il est vrai que ce coup de fouet, m'a servi depuis d'instruction. » Les rapports sociaux où un des partis communique un désir d'ordre sexuel sont des rapports plus ambigus qu'une amitié sans but. Ce sont des rapports où se vit une tension sexuelle, une tension biologique et où les débordements sont communs et où les erreurs sont monnaie courante surtout en notre jeunesse. Il faut enseigner l'ouverture, la prudence et la possibilité des erreurs pour sortir grandit de ces expériences. 

Dans le même ordre d'idée, la sexualité sans amitié qui caractérise la culture des « one-night » ou qui se pratique avec Tinder ne sont pas des phénomènes nouveaux... Montaigne, parlant de ses libertinages, évoque : « C'est folie d'y attacher toutes ses pensées, et s'y engager d'une affection furieuse et indiscrète. Mais d'autre part, de s'y mêler sans amour, et sans obligation de volonté, en forme de comédiens, pour jouer un rôle commun, de l'âge et de la coutume, et n'y mettre du sien que les paroles. C'est de vrai pourvoir à sa sûreté, mais bien lâchement, Comme celui qui abandonnerait son honneur ou son profit, ou son plaire de peur du danger : Car il est certain, que d'une telle pratique, ceux qui la dressent n'en peuvent espérer aucun fruit, qui touche ou satisfasse une belle âme. Il faut en bon escient désiré, ce qu'on veut prendre en bon escient plaisir de jouir. » Si le message n'est pas clair, il y va plus loin d'une sentence sans équivoque : « Qui n'a qu'à décharger le corps d'une nécessité naturelle, n'a que faire d'y embesogner autrui, à tout des apprêts si curieux : Ce n'est pas viande à une grosse et lourde faim. ». La sexualité sans finalité doit est comprise pour ce qu'elle est et non pas comme un escalier nécessaire à emprunter afin de créer de la beauté. 

La quête de sa sexualité diffère dans toutes les sociétés via la religion, les rites et les coutumes qui forment les usages et les communs de cette société. Au sein des autres civilisations, cette quête est un art de vivre partagé par la mythologie et les traditions. Dans l'occident chrétien, la crise de la sexualité se résume à un manque – certains diront un vide - culturel à ce niveau qui a perduré pendant des siècles. Combien d'années notre sexualité s'est référée à un homme sans sexualité – Jésus – et sa mère vierge qui a enfantée sans fornication? Ce que Montaigne tente de décrire c'est une vie où la sexualité se conjugue avec la religion de son roi. Une mine d'or pour les libertins.

Dernière leçon de sexualité à propos des hommes par notre ami Michel (V, p 143 – tome III) : « Qui n'a jouissance, qu'en la jouissance, qui ne gagne que du haut point, qui n'aime la chasse qu'en la prise, il ne lui appartient pas de se mêler à notre école. Plus il y a de marches et degrés, plus il y a de hauteur et d'honneur au dernier siège. Nous nous devrions plaire d'y être conduits, comme il se fait aux palais magnifiques, par divers portiques, et passages, longues et plaisantes galeries, et plusieurs détours. Cette dipensation reviendrait à notre commodité : Nous y arrêterions, et nous y aimerions plus longtemps : Sans espérance, et sans désir, nous n'allons plus qui vaille : Notre maîtrise et entière possession, leur est infiniment à craindre: Depuis qu'elles sont du tout rendues à la merci de notre foi, et constance, elles sont un peu bien hasardées. Ce sont vertus rares et difficiles : Soudain qu'elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles : postquam cupidae mentis satiata libido est, Verba nihil metuere, nihil perjura curant (après qu'ils ont assouvi leur fantasme avide, ils ne craignent plus leurs promesses, ils n'ont plus souci de se parjurer.). » Les lois du marché au niveau de la sexualité des hommes sont claires. L'homme est un animal social avec ses vices et ses vertus...

- Le troisième commerce : des livres

Le troisième commerce est celui des livres, donc de soi-même. Ce commerce est une discussion qu'on ouvre entre des auteurs et sa voix intérieure. Une manière par le travail de revoir les comportements et les gestes qui nous constituent en devenant des habitudes. C'est pour se construire lentement et de manière raisonnée et afin d'éviter que ces « usages » le forment malgré son entendement que Montaigne met l'accent sur ce commerce : « Celui des livres, qui est le troisième, est bien plus sûr et plus à nous. Il cède aux premiers les autres avantages, Mais il a pour sa part la constance et facilité de son service : Cettui-ci côtoie tout mon cours, et m'assiste partout. Il me console en la vieillesse et en la solitude. Il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse : Et me défait à toute heure, des compagnies, qui me fâchent. Il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est du tout extrême et maîtresse : Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres,(...) Le malade n'est pas à plaindre, qui a la guérison en sa manche. (...) C'est la meilleure munition que j'ai trouvé à cet humain voyage, Et plains extrêmement les hommes d'entendement, qui l'ont à dit. » Le commerce des livres est une quête de soi. C'est une tâche ardue qui devrait être au centre de tous les individus dans une civilisation vivante. Le fait de voir aujourd'hui tant de gens qui sont més-adaptés socialement et sexuellement, autant de gens vivant une surdose constante de stress, de misère et de problèmes de santé mentale, autant de gens isolés et en proie au mal-être dans leur existence, autant de victimes d'acte de violence sexuelle, nous amène à se questionner sur cette manière à pousser au dépassement de soi plutôt qu'à la domination et la dépréciation de l'autre. Pour Montaigne, cela passait par l'éducation, les livres et la solitude épicurienne.

Ce que les réseaux sociaux posent comme problème à travers les débordements journaliers qui transpirent sur ces plate-formes, c'est cette possibilité de se perdre à travers les gestes d'autrui. La possibilité d'une médisance qui prend le pas sur notre réalité. Cette possibilité provoque une contradiction entre ce besoin d'affirmation de soi stimulé par la société et ce besoin de sécurité accessible seulement dans la solitude du jardin. Car nous avons tous besoin de se « séquestrer et ravoir de soi », de reprendre contrôle sur qui nous sommes réellement. L'espace publique est une scène où la cruauté, la méchanceté et la médisance sont omniprésents et où les esprits sont échauffées à tout heure du jour et de la nuit. Cette scène n'est pas faite pour les esprits facilement froissés. Vouloir baliser cette réalité de codes et de lois est d'une stupidité abyssale. Notre force réside en notre capacité de se définir à travers notre propre regard; notre propre individualité, plutôt que dans l'oeil du voisin. Dans le chapitre « De la liberté de conscience, Montaigne rappelle en plein contexte de guerres civiles françaises entre protestants et catholiques : « Il est ordinaire, de voir les bonnes intentions, si elles sont conduites sans modération, pousser les hommes à des effets très vicieux. (...) Il est certain, qu'en ces premiers temps, que notre religion commença de gagner autorité avec les lois, le zèle en arma plusieurs contre toute sorte de livres païens, de quoi les gens de lettres souffrent une merveilleuse perte. J'estime que ce désordre, ait plus porté de nuisance aux lettres, que tous les feux des barbares. » Partout dans les Essais il nous enjoint à la modération dans nos rapports sociaux. C'est un appel à la fraternité, à la raison, à la confiance et au dépassement de soi qui illumine une vie imparfaite, en fait un modèle à suivre pour les futurs navigateurs de l'histoire des idées, et qui propose des fondations pour l'existence de ces héritiers de la connaissance.

































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