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L'Hydre extrait du chapitre 2: le tyran

LES DÉCHETS DE LA SOCIÉTÉ

« La populace est avant tout un groupe où se retrouvent les résidus de toutes les classes. C'est ce qui rend facile la confusion avec le peuple qui, lui aussi, comprend toutes les couches de la société. Mais tandis que le peuple, dans les grandes révolutions, se bat pour une représentation véritable, la populace acclame toujours « l'homme fort », le « grand chef ». Car la populace hait la société, dont elle est exclue, et le Parlement, où elle n'est pas représentée. Ainsi les plébiscites, où les chefs modernes de la populace ont obtenu de si remarquables résultats, sont-ils une vieille idée des hommes politiques qui comptent sur la populace. » - (Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt, l'antisémitisme, l'affaire Dreyfuss, p. 349-350).

Dans l'histoire du totalitarisme étudié par Arendt, il y a deux éléments forts de la populace qui mettent en scène la logique du chef; tout d'abord, les tyrans et tyranneaux de la populace sont toujours en marge de la société; ils profitent du système en capitalisant sur leurs instincts négatifs - mis en valeur dans la logique de nos sociétés - qui sont généralement mal vus sous la loupe des principes moraux – rappelez-vous leur doctrine : « Ce n'est peut-être pas morale, mais c'est légal ». Notre société de consommation, demandant une quantité astronomique d'énergie, de matières premières, d'esclaves et de consommateurs, doit continuellement être entretenue par une classe de gestionnaires des « capitaux » ; capitaux financiers, capitaux énergétiques, capitaux matériels, capitaux humains et ces capitaux, voyez-vous, doivent voir leur rendement se maximiser sinon on trouvera d'autres gestionnaires pour remplir les quotas.

D'où viennent ces quotas?

De nul part et partout; des Léviathans, du « marché », des « investisseurs », des « financiers », des « lobbyistes », des « publicitaires » et même des fois de « l'opinion publique ». Ces formes plus ou moins réelles « d'autorité », nous rendent compte d'une chaîne de commandement; une méritocratie, basée sur les résultats de ces gestionnaires de la souffrance humaine. Qui donc pourra aller se salir les mains en Somalie, en Tanzanie, au Ghana, au Congo, au Soudan ou en Sierra Léone (Noir Canada, Alain Deneault) afin d'aller prélever les ressources dont on a de besoin – et maximiser le rendement dans l'investissement des grands consortiums miniers et pétroliers – si ce n'est que cette armée privée mondiale de gestionnaires de capitaux détenant une multitude de petites et moyennes entreprises, des juniors; des déchets en face de Cthulhu? Comment, dans un climat semblable, pourrait-on ne pas voir émerger autre chose qu'une faune d'individus au profil des tyrans : des « psychopathes narcissiques »?

Bien entendu, on nous dit que ces gestionnaires sont là pour « développer la croissance économique », mais dans les faits, le tyran est là pour une raison : il veut que sa « réussite » - la simple volonté de sa raison - transcende sa situation sociale; il souhaite se hisser en monarque absolu de son temps. Ou à tout le moins, il souhaite maximiser son propre rendement humain à l'intérieur d'une logique perverse qui le dépasse mais à laquelle il souscrit.

Le second élément de la logique du chef est simple à comprendre mais difficile à saisir dans ses aboutissements : les éléments de la populace ne deviennent une force politique admise que lorsqu'il y a prise de conscience d'une masse d'individus, auparavant atomisés; que cette masse devienne une populace organisée. C'est précisément à ce moment que la figure de chef est mise aux enchères : les éléments le plus puissants et/ou charismatiques de la populace investissent le champs de bataille idéologique au sein du mouvement dans une lutte effrénée vers l'unité patriotique. L'odeur du mouvement de masse amène toujours son lot de carriéristes en gestion de la souffrance humaine; c'est une nécessité. Le mouvement se forme donc à travers son chef et sa populace; les deux sont liés. Le tyran ne peut pas raisonner, détruire, construire, gouverner, sans le soutien de sa populace formée et la populace ne peut exprimer sa raison qu'à travers son chef.

Si nous faisons l'analyse du phénomène de mouvement de masse, on pourra remarquer que le mode de centralisation de l'idéologie du mouvement est une synthèse au carrefour des intérêts personnels du tyran et de son cercle intime ainsi que de la personnalité du tyran. Les formes de cette centralisation expliquent en elles-mêmes les raisons de l'écroulement du mouvement de masse plus tard dans le temps.
Ainsi, ce qui met un tyran sur son trône; sa raison et sa puissance, finit tôt ou tard par le trahir d'un coup de couteau dans le dos. Le tyran est un chef et il doit diriger mais un jour ou l'autre, il prendra décision qui ira à l'encontre de ses soutiens.

Puis une autre.

Il pourra toujours construire des murailles et des miradors, armer des soldats professionnels et imposer sa raison par la violence, mais pour chaque construction il y aura une destruction. Pour chaque individu qu'il hissera dans ses rangs – un individu jugé valeureux qui saura bien représenter les intérêts du tyran – il y en aura un, deux ou cent qui seront noyés dans la misère. Pour chaque dollar distribué par sa raison afin de soulager la misère, il y en aura un, deux ou cent qui seront pillés par ses propres gestionnaires subalternes. Pour chaque vie mise en valeur, une autre sera oubliée et déshéritée.

Puis une autre. Puis dix. Puis des milliers...

Un sentiment de dégoût transpire jusqu'au tyran. Les têtes tombent. La raison domine sur tout : les mondes structurés du tyran et le monde réel. Il maîtrise son domaine, ses corps, ses propriétés; pour leur bien à eux tous! Ils ne peuvent pas comprendre que s'ils sont si bien, si heureux, si riches, c'est parce que sa raison aura dominer sur la réalité : il a créé ces richesses de par sa propre volonté.

Une haine grandit dans un coin. Les mitraillettes crépitent. Ils ne comprennent pas! Ils sont ignorants ces pauvres. Ne voient-ils pas qui est le chef? Que cette raison veut le bien de tous? Que cette raison EST raison d'État? Que cette raison les dépasse eux et leur monde commun? Car cette raison elle est objective voyez-vous et c'est pour ça qu'elle a raison : il ne reste qu'à vous le démontrer.

Vous comprendrez. Je vous l'affirme et vous le promet.

La haine est adulte; elle voit le monde tel qu'il est. Elle crie sa contradiction. Elle jubile de découvrir le trou dans l'armure du tyran; la raison et le pouvoir sont de nature différente et le tyran cachait cette vérité si simple : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l'ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobez sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre. » - (La Boétie, Discours de la servitude volontaire).

Le tyran rage de honte. Il se découvre nu mais toujours armé. Il frappe encore plus fort. Il emprisonne, il nie, il pervertit, il subtilise, il devient plus rude, plus extrême, plus ir-rationnel... il enchaîne les fautes de raison : en souhaitant rester chef il soumet sa raison à sa personnalité et explose de violence. Les charniers de la raison apparaissent. Des fois on y enterre des idées, d'autres fois des cadavres à oublier, parfois les deux.

L'opposition s'organise. Le ressentiment devient révolte. L'agitation d'une masse se forme. Ce qui a été détruit renaît d'on ne sait pas où. Un autre mouvement se forme à l'aube de l'anéantissement de la raison du tyran. La populace convoque un nouveau tournoi. Brutus y sera investit de sa mission.

Le tyran meurt assassiné, continue les meurtres ou abandonne sa raison. Il soumet sa raison ou elle Est soumise par une autre raison plus raisonnée.

Un autre tyran prend sa place.

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