Le pédagogisme et
les enfants-rois
Un sujet qui est
incontournable pour toute société, ouverte
(démocratique-pluraliste) ou fermée (autoritaire-tribale)
souhaitant perdurer dans le temps est la question de l'éducation de
sa jeunesse et du choix de ses chefs. La question est d'autant plus
importante que l'emprise sporadique des discours totalitaires sur
l'éducation rend difficile de maintenir cet état de « société
ouverte » acceptant la dissension et le compromis ; stimulant
l'innovation et le « progrès ». En effet, de la
République des Races de Platon à l'État issu du nationalisme
historique d'Hégel, et même jusqu'à la Société sans classe de
Marx, partout on voit se dresser l'ombre des miradors via diverses
doctrines que les éducateurs doivent nourrir à la plèbe, incapable
de se gouverner elle-même. Ajoutons à cela la mutation
anthropologique décrite par Emmanuel Todd dans « Où en
sommes-nous? »; due à la mondialisation des marchés,
l'accession à l'éducation post-secondaire de masse (20 à 35% de la
population) et la baisse du taux de fertilité qui en découle, qui
implique une sorte de « sécession mentale et physique »
des élites urbaines et éducatives supérieures, et vous avez le
contexte idéal pour permettre l'émergence d'un moment populiste. Un
moment de forte volatilité électorale, d'inutilité des modèles et
prédictions en raison du fort taux d'abstention et d'indécision –
aujourd'hui jusqu'au jour même de l'élection - , et surtout la mise
en valeur de l'homme fort providentiel, celui que l'histoire nous
amène afin de défendre le peuple, la race ou la classe de l'ennemi
par tous les moyens.
Entrisme à
l'université et mal-être dans les esprits
Profitant d'un
contexte de crise persistante dans les systèmes d'éducation, ce
phénomène de tribalisation des liens sociaux s'est aussi présenté
à l'université et est passé inaperçu pendant plusieurs décennies.
D'année en année, le nombre d'enseignants conservateurs a chuté
dramatiquement et ils furent remplacés par des enseignants de
« gauche » (de 'liberal' à l'anglaise à carrément
marxiste) dans une proportion démographique importante. Ce n'est que
récemment que des chercheurs comme Greg Lukianoff et Jonathan Haidt
ont accordé une importance à ces chiffres (The Coddling of the
American Mind) afin de tenter d'expliquer l'ampleur des problèmes de
savoir-vivre et de savoir-être que rencontre la nouvelle génération
(iGen, née en 1995+) en entrant à l'université et dans le monde du
travail. Lentement, les sciences sociales et les humanités ont été
les premiers endroits à vivre cet entrisme marxiste et aujourd'hui,
juste aux États-Unis, la contrée où le MaCarthysme a laissé son
empreinte anti-communiste très forte, 20% des enseignants de
'college' se déclarent ouvertement marxistes. Pour ces deux
chercheurs, le climat éducatif transmis par le pédagogisme des
nouvelles générations d'enseignants est en partie responsable de la
faillite de la construction ontologique et sociale des jeunes
adultes. Ce pédagogisme transmettrait trois fausses vérités :
1) que les enfants et les étudiants sont fragiles et doivent être
constamment protégés, 2) qu'il faut toujours croire ses émotions
car la rationalité est une construction sociale et 3) que l'histoire
est une bataille éternelle entre les gentils (nous – les opprimés)
et les méchants (eux – les privilégiés qui veulent garder leur
accès aux lieux de pouvoir).
Mais qui doit
gouverner?
Cette question hante
l'esprit des éducateurs depuis des millénaires. Réfléchir à
cette question se fait presque toujours à partir de bonnes
intentions. Enfin, j'ose le croire... sans doute parce que j'ai été
élevé par le lait du christianisme dirait n'importe quel
nietzschéen. Pour Karl Popper (La société ouverte et ses ennemis),
cette question n'a pas lieu d'être. Elle ne peut que mener à la
stérilité des discours totalitaires. Et j'en suis. Selon lui, la
question devrait plutôt être : « Comment peut-on
concevoir des institutions politiques que empêchent des dirigeants
mauvais ou incompétents de causer trop de dommages? ». De
même, généralisant aux éducateurs - puisque nous sommes enclins à
croire les universitaires si supérieurs - comment faire pour
permettre aux enfants d'être « élevés » et non
« nivelés » dans leur rapport avec le système
d'éducation? Comment éviter que des enseignants « incompétents
ou mauvais » fassent de notre jeunesse un ensemble de
mésadaptés et de petits soldats de la mondialisation libérale
totalitaire consommant seuls dans leur coin des produits sur les
marchés culturels et industriels anglo-saxons, vivant en nomade sans
racines, atomisés et terrorisés par le danger climatique incessant
et ineffable?! S'attacher à cette tâche pour défendre le
pluralisme et l'innovation, c'est s'attaquer à des géants de la
métaphysique idéaliste : le philosopĥe-roi de Platon, le
culte de l'homme providentiel de Hégel et la fumeuse révolution
sociale menant à la conquête du pouvoir par le prolétariat de
Marx. Heureusement pour nous, comme le souligne Popper dans
l'ouvrage, ces trois géants ont tous la même faille dans leur
armure idéologique et c'est celle d'une vision de l'homme
essentialisée dans diverses sortes d'irrationalismes le prédestinant
à être ce qu'il est et permettre la prédiction d'ordre morale à
propos de l'histoire : le naturalisme des races de Platon,
l'homme comme animal héroïque chez Hégel et le déterminisme
sociologique de Marx.
Cette idée folle de
l'être ir-rationnelle
Pour Michel Foucault
(L'histoire de la folie à l'âge classique), c'est quelque part au
16e siècle que l'homme occidental a oublié les « formes
cosmiques et critiques » de folie vécues comme formes
« positives » : « 1. La folie devient une
forme relative à la raison, ou plutôt folie et raison entrent dans
une relation perpétuellement réversible qui fait que toute folie à
sa raison qui la juge et la maîtrise, toute raison sa folie en
laquelle elle trouve sa vérité dérisoire. (...) 2. La folie
devient forme même de la raison. Elle s'intègre à elle,
constituant soit une de ses forces secrètes, soit un des moments de
sa manifestation, soit une forme paradoxale dans laquelle elle peut
prendre conscience d'elle-même ». Du racisme de Platon à
l'animal hégélien ou au déterminisme sociologique de Marx, la
forme même de l'idée de folie n'était plus la même. Et comme
l'idée de folie s'est entremêlée de celle de la raison, partout
l'affrontement « raison/déraison » est préexistant à
tous les engagements dans le débat public. Comment engager la
discussion pour le compromis et le progrès quand le langage, les
normes et les faits, la notion de vérité même, font dresser les
hommes et les femmes les uns contre les autres? Il est évident que
cette incapacité à l'engagement est un des effets du manque de
confiance en soi partagé par ces nouvelles générations. Dès lors
que l'idée même de conflit de valeurs se présente à l'esprit
grâce à une série d'amalgames digérés dans leur dose quotidienne
de « soft power américain », l'enfant-roi entre en
pleine rage ontologique : vous êtes avec ses émotions ou
contre les humains.
Les enfants sont
antifragiles
Plutôt que de
dresser des plantes vertes, des soldatesques en culottes courtes et
des victimes ontologiques chroniques, il est possible de prendre acte
des progrès sociaux et techniques en matière d'éducation et de
réellement former des êtres capables de fonctionner en société.
L'ingénierie sociale est possible jusqu'à un certain niveau. La
difficulté n'est pas de « former des être capables de
fonctionner en société », mais de le faire dans le cadre
d'une société ouverte. C'est pourquoi certains chercheurs comme
Nassim Nicholas Taleb (Antifragile) utilisent l'image « antifragile »
pour décrire ce qui, dans la nature, croit en force, en valeur, en
puissance en face des chocs, des adversités et malgré la souffrance
inhérente à l'existence. Cette vision de l'enfance comme « chose
plus que robuste »; chose qui grandit en face des défis et des
échecs ; chose qui doit vivre sa vie pour devenir ce qu'elle est,
nous amène à repenser l'éducation totalement ainsi que toutes ses
méthodes de gestion issues du pédagogisme et de sa mythologie.
Penser l'éducation d'un être antifragile, c'est penser le temps
parascolaire non supervisé par des adultes, c'est oublier les
programmes pédagogiques surchargés pour se concentrer sur la
lecture, l'écriture, les mathématiques, tout ce qui est
fondamental. C'est penser la philosophie dès la sixième année et
surtout se débarrasser de tous les domaines académiques spécialisés
qui revendiquent le statut de science sans assumer la possibilité
que leurs théories soient falsifiables par l'expérience :
principe empirique clé si on veut incarner la raison sur son armure.
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