La mondialisation et ses effets : la branche québécoise dans l'arbre canadien
À peine une semaine
dans la campagne électorale et entre, par la porte d'en arrière,
une double crise constitutionnelle au sein de la confédération
canadienne. Cette crise à pour enjeu les dernières modalités
d'entrée du Canada et du Québec dans la réalité de l'ère de la mondialisation
libérale totale; l'abaissement des dernière barrières tarifaires,
nécessaires à la protection des industries nationales, en face de
la société de marché mondiale et de ses prédateurs de la finance
privés ou étatiques. C'est le Québec qui entre dans un monde
économique multipolaire, qui découvre qu'il est un poids plume en
face des grands joueurs, qui redécouvrira peut-être la notion de
souveraineté nationale et qui devra ultimement trouver une voie et une voix vers
le rassemblement nécessaire à la protection de son territoire, de sa
culture, de sa langue et de la nation québécoise. À défaut de redevenir par le folklore une colonie culturelle vivant de
l'exotisme de son tourisme et de sa langue, pour les mandarins de la
société de consommation globale et anglo-américanisée.
La propriété
privée au rang des divinités humaines
Depuis la fin de la
deuxième guerre mondiale, même pendant l'époque tendue de la
guerre froide, la société de marché aura réussi à prévenir les
conflits militaires directs entre les diverses grandes puissances
militaires mondiales. Malheureusement pour certaines zones de la
planète, que j'appelle personnellement des « zones de
non-droit », des zones où la force physique et militaire est garante de
l'ordre et/ou de la justice – zones qui forment en fait une
proportion supérieure à tous les « états de droit »
libéraux mis ensemble – ces territoires (le sous-sol) et leurs
populations sont des ressources convoitées par une multitude
d'agents de la mondialisation du fait du manque de cadres de
protections des États de droits et des marges de profit que cela
implique pour les actionnaires des grandes corporations. Pour illustrer cet état de fait, rien de mieux que de
plonger dans « De quoi Total est-elle la somme? » d'Alain
Deneault. À l'intérieur de ce livre explosif, il explique comment
une entreprise pétrolière appelée « Total »,
anciennement publique et désormais entièrement privée, a utilisé
la force politique, militaire, culturelle, économique, de la France,
pour :
Comploter afin de
maximiser les profits dans tous les cas de figures, guerre ou paix dans des contrées éloignées et pour prendre contrôle de ressources naturelles:
« Les multinationales ont suffisamment d'atouts pour aborder
n'importe quelle situation économique de manière avantageuse »;
« Le monde pétrolier apparaîtra crûment à la France comme
obéissant à des formes de souveraineté qui lui sont propres. Déjà
au tournant du XXe siècle, les acteurs de cette filière
se sont constitués en gigantesques entités capable de peser
artificiellement sur les cours du marché. (...) Plutôt que de se
nuire mutuellement dans de véritables guerres de positionnement, ces
grandes structures en viennent à se reconnaître diplomatiquement
et à concilier pacifiquement leurs intérêts dans des arrangements
de type oligopolistique. »
Coloniser des états
souverains en recopiant l'esprit et la pensée coloniale
française : « Cette histoire est désormais bien connue.
Le dirigeant d'Elf (entité ultérieurement absorbée par Total) joue
surtout le rôle d'un ministre officieux du pétrole et celui de
directeur d'un service de renseignement. Disposant de pouvoirs en
matière d'enquête, fournissant la France en pétrole et les partis
politiques en financement illicite, agissant sur un mode
« diplomatique » de manière intrusive dans les affaires
publiques des pays où elle se trouve au point qu'elle en devient
littéralement une régente, la société crée un climat général
de domination dans les ex-colonies d'Afrique. » ;
Collaborer avec des
régimes dictatoriaux comme celui de l'Apartheid sud-africain pour
exploiter des ressources sans scrupule humanitaire: « La
CFP, qu'on appelle déjà « Total » en 1954 du nom de la
marque qu'elle attribue à ses produits et à sa filiale en Afrique
du Sud, compte parmi les toutes premières entreprises qu'accueille
cet État qui a promulgué la ségrégation raciale. » ;
Codifier et pacifier
par le droit, la corruption en tant qu'économie parallèle «normale» : « Tout serait affaire de passages obligés.
D'abord la « préreconnaissance » : faire des
virements dans des comptes offshore au profits de chefs d'État,
ministres et hauts fonctionnaires afin de pouvoir mener des travaux
de prospection ou accéder à des sites prometteurs. Puis viennent
les commissions : les paye une entreprise qui vise à installer
durablement ses infrastructures sur le territoire. (...) Les
« rétrocommissions » font tout aussi nécessairement
partie du jeu. Elles consistent à financer les parties politiques
français, les campagnes électorales de tels ministres ou députés
influents ainsi que le personnel de tel prospect, les bénéficiaires
agissant aussi dans les secteurs de l'entreprise, du journalisme, des
arts et de la culture... » ;
Conquérir des
marchés, en armant les deux côtés d'un conflit, comme en Angola
durant les années 90 ou, plus récemment, en agissant directement en
Libye pour mettre fin au régime de Kadhafi qui osait défier la
firme : « Dans le chaos de la guerre, l'impunité
reste totale. Les cas angolais et libyen sont si liés à des
décisions institutionnelles relatives au secret-défense et à la
raison d'État qu'on ne saurait d'aucune manière obtenir de
sanctions envers ceux qui ont agi directement ou indirectement en
lien avec les intérêts pétroliers. » ;
Délocaliser ses
structures juridiques et ses montages financiers pour frauder les
gouvernements et ne pas payer ou payer très peu d'impôts : « Total
ne paie pas d'impôts en France... Ses opérations réalisées sur le
sol français comme tel ne sont pas suffisamment rentables. Ses
calculs l'amènent toutefois à prétendre qu'elle génère par
ailleurs 950 millions d'euros pour le trésor public français, en
considérant absolument tout, les taxes diverses telles que la taxe
sur les dividendes ou la taxe foncière, les taxes sur son siège
social à la Défense ainsi que sur son réseau de stations-service
et ses quelques raffineries. En 2014, l'entreprise a déclaré un
chiffre d'affaires de 257 milliards de dollars et distribué à ses
actionnaires 5,9 milliards d'euros, soit 58% de ses profits, et
l'année suivante, la firme a déclaré un chiffre d'affaires de
165,36 milliards de dollars et a gratifié ses actionnaires de 2,85
milliards de dollars en dividendes, un montant représentant alors
27% de ses profits, établis à 10,5 milliards de dollars. » ;
Pressurer des
gouvernement, comme celui de l'Algérie, pour négocier en secret des
ententes et modifier les cadres constitutionnels, les tables
d'impositions, etc des états pour favoriser l'exploitation pétrolière
de tout genre et maximiser les dividendes des actionnaires, à défaut de quitter le pays en bloc malgré les
ententes antérieures en privant ces états d'infrastructures de base ;
Polluer dans
l'impunité la plus totale des larges territoires, vassaliser des
élites locales afin de favoriser les intérêts économiques de la
firme, nier dans la légalité toute infraction ou atteinte aux
conventions internationales ou aux droits fondamentaux; se placer
comme figure humanitaire comme au Myanmar tout en acceptant le
travail d'esclave, en toute connaissance de cause; et régir les
états et nations récalcitrantes afin d'orienter leurs intérêts
sur ceux de la firme : « Ils forment au-dessus des
institutions publiques un régime particulier de lois qui leur
échappe et les contraints. Ils s'imposent ainsi comme des
législateurs d'un nouveau genre, n'ayant de compte à rendre à
personne sinon à leur actionnariat. (...) Comploter, coloniser,
collaborer, corrompre, conquérir, délocaliser, pressurer, polluer,
vassaliser, nier, asservir et régir. Douze verbes permettent de
résumer la façon qu'ont eue, au XXe siècle, des
multinationales telles que Total de s'affranchir des régimes
contraignants des États de droit afin de les contraindre, eux, à
leur tour, à un univers commercial les liant à l'échelle mondiale.
Ils témoignent d'un ordre qui n'est plus celui du droit mais d'une
prétendue science – l'économie financière - , en réalité une
idéologie se présentant apte à traduire des phénomènes sociaux
et psychologiques fondamentaux, à l'instar de la loi de la gravité,
alors qu'il s'agit au contraire pour ces nouvelles règles de
façonner un monde selon les paramètres de ce discours afin qu'il
tourne à l'avantage des oligarques qui le promeuvent. Par ces douze
modalités, les multinationales ont su s'affranchir de toute forme
d'encadrement politique, pour devenir progressivement (...) la
puissance qui domine l'activité publique . »
Qu'est-ce que la
souveraineté?
En face de cette
réalité et en revenant sur le cas de la gestion de l'offre, les
Québécois ont l'opportunité de redéfinir ce qu'ils entendent par
nationalisme et souveraineté; au vu et au su de la jungle économique
qui assaille les économies les moins protégées sur la planète,
tenter de mettre en place des structures qui empêcheront des pans
entiers de l'économie d'être avalés par les entités
multinationales comme par exemple la C-Series de Bombardier fût
avalée par Airbus pour zéro dollar. Acte de piraterie économique
si je peux me permettre le commentaire.
Pour revenir vers
Deneault, il définit quatre modalités qui expliquent comment les
multinationales revendiquent leur souveraineté en face des états où
ils sont établis :
1) La maîtrise des
« règles du marché » : « Cette pratique
économique consiste, pour un petit nombre d'acteurs puissants, à
s'organiser pour se soustraire aux règles du marché censées
prévaloir dans un régime libéral. Il s'agit le plus souvent de
fixer les cours et de répartir de façon concertée les parts de
marché. »
2) « Compter
sur un État complice » : « Dans tous les cas
(Afrique du Sud, Algérie, Nigeria, Congo-Brazzaville, Angola et
Libye), l'État complice ne faisait pas qu'apporter directement ou
indirectement sou soutien aux firmes qu'il protégeait, il leur
garantissait par le fait même l'impunité. »
3) « Se jouer
de la loi » : « Les paradis fiscaux, zones franches
pétrolières ou ports francs se révèlent bien entendudes endroits
de prédilection pour créer des structures qui pourront gérer des
fond échappant aux impôts ainsi que développer des raffineries ou
immatriculer des navires de transport réduisant à néant les
contraintes en vigueur dans les pays où se trouvent les principaux
marchés des entreprises. »
4) « Soumettre
les États à sa loi » : « Par le lobbying, la
cooptation dans les institutions publiques, voire la corruption et le
financement des carrières politiques, les entreprises
multinationales obtiennent souvent ce qu'elles souhaitent des États
dans lesquels elles sont présentes. Peuvent venir sinon les menaces.
Il s'agira dans les pires cas de renversement de régime sur un mode
violent, mais il peut aussi être question de poursuites devant des
instances de règlements commerciaux acquisle plus souvent aux
intérêts des entreprises, auxquelles des ententes internationales
présidées par la Banque mondiale ou des traités de libre-échange
confèrent une légitimité que rien d'autre ne justifie. On agitera
alors les traditionnelles menaces de délocalisation, avec les pertes
d'emplois encourues toujours fort médiatisées et défavorables aux
équipes gouvernementales en place. Puissante, nantie, polymorphe, la
multinationale parvient ainsi à exercer un pouvoir tel qu'elle
s'affranchit de tout cadre national. »
Ainsi, dans le cadre
de la mondialisation libérale, le phénomène auquel fait face
l'ensemble des États de la planète est double : d'une part un
foisonnement des formes de souveraineté qui forcent les États et la société civile à occuper des espaces physiques (ressources naturelles) ou virtuels (expertises) et qui sont nécessaires afin ne pas tomber dans le cercle des « perdants de la
mondialisation », et d'autre part la concentration des
capacités souveraines dans les mains de quelques ligues d'intérêts
mondiales et privées qui font pression sur les gouvernements pour détruire les filets sociaux et soutirer des rentes d'État; ce qu'Alain Deneault définit à la fin de son ouvrage
magistral comme étant un « totalitarisme pervers ».
État, Propriété,
Souveraineté; les élites québécoises en face d'un choix
C'est à la fin de la révolution tranquille que nous voyons
apparaître un nouveau mouvement nationaliste au Québec; un
mouvement revendiquant une souveraineté nationale au nom d'un peuple
distinct de la nation canadienne anglaise. Ce mouvement aura des
débouchés politiques, socio-économiques et culturels importants et
culminera avec deux échecs référendaires, des échecs pour un
renouveau constitutionnel pan canadien et quelques gains politiques
majeurs en matière de compétences exécutives, législatives et
administratives du gouvernement québécois, du fait d'une exception
reconnue par la cour suprême canadienne ainsi que la chambre des communes.
Par le fait même, la province reste dirigée par des intérêts
nationaux auxquels les prises de décisions ne sont pas à Montréal
ni à Québec, mais plutôt à Ottawa. Soumise donc à une raison d'État en dehors de notre contrôle direct en tant que peuple.
Ensuite et plus
récemment, rappelons-nous comment les différents gouvernements
péquistes de Lucien Bouchard et Bernard Landry, et libéraux de
Charest, ont procédé au démantèlement et à la vente au privé de
la division pétrolière d'Hydro-Québec, comment les élites
québécoises ont eu un soudain intérêt pour le gaz de schisme, les
pipelines et l'exploitation d'un gisement gigantesque de pétrole sur l'île d'Anticosti et
comment un nombre très élevé de politiciens et d'anciens
politiciens se sont révélés avoir des liens et même des intérêts
dans des firmes comme Pétrolia, jusqu'à s'entendre
avec le gouvernement sur des présentations de projets conjointes et
des stratégies concertées « d'acceptation sociale »
diffusées par les médias de masse. Cette vision économique de
l'exploitation du territoire québécois, que cela soi comme vecteur
de distribution (pipeline et port en eau profonde) ou comme sous-sol
où l'on soutire des rendements énergétiques, avait comme but au sein de cette élite plus ou moins souveraine de faire entrer le
Québec, du moins une nouvelle élite « québécoise », à
la table des grands groupes mondiaux de production pétrolière. De
vendre le sous-sol et notre environnement pour quelques petits vendus nous promettant une extraction et un transport avec des « hauts standards
environnementaux », comme à Mégantic.
Les formes de
souveraineté se multiplient et les manières de contourner la
justice des États de droits aussi. Les atteintes à la
souveraineté québécoise, par la société de marché mondialisée
sont déjà partout en santé, en éducation, dans les médias, le
journalisme, la recherche, les industries, la propriétés foncière, résidentielle, commerciale et agricole, dans les traités de libre-échange qui modifient
des pans entiers des économies traditionnelles et laissent les
petits joueurs, les PME québécoises,seules en face d'entités
beaucoup trop puissantes dans des logiques de marché totalement
inégalitaires, pour le « meilleur »; un beau petit chèque, sinon pour le pire; la faillite ou la prise de
contrôle sans contrepartie.
Devant ces séries
d'échecs et l'épuisement relative du mouvement souverainiste, je
revendique une redéfinition des modalités souveraines nécessaires
à ce que le peuple québécois puisse continuer de laisser sa trace
dans l'histoire mondiale. Ce n'est pas dans la question sociale; dans
la lutte pour un progrès qui n'a de progrès que le nom, dans un
projet de société centré sur la consommation, la création de droits individuels pour quelques vedettes médiatiques, culturelles et politiques et dans les affaires
économiques de l'ordre libéral totalitaire qui segmentent la population en populations ciblent et fractionnent le peuple québécois dans des identités victimaires, que l'on pourra éviter
le pire de la mondialisation. C'est en évitant la mainmise des
lobbies sur le politique, en faisant en sorte de mettre fin à la
crise de représentativité politique qui caractérise notre mode de
scrutin archaïque, et en mettant en place des protections, en
favorisant des expertises, des industries et des secteurs d'emplois
qui permettront au Québec de s'auto-suffire que le Québec pourra ainsi vivre d'une relative sécurité
souveraine en face des grands joueurs de la guerre de tous contre
tous des marchés mondiaux, des institutions transnationales et des intérêts
étrangers, trop souvent totalement opposés aux nôtres.
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