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Béni soit l'âne qui dit oui

Béni soit l'âne qui dit oui

« Mais brusquement s'effreya l'oreille de Zarathoustra, car, pleine jusqu'alors de tumulte et de rire, la caverne d'un coup tomba dans un silence de mort; - or sentait la narine de Zarathoustra une odorante vapeur et fumée consécratoire, comme brûlantes pommes de pin.
« Qu'advient-il? Que font-ils? » se demandait Zarathoustra, et vers le seuil se glissa pour observer ses hôtes sans être vu. Mais, prodige des prodiges, que de ses propres yeux ne lui fallut-il voir?
« Ils sont tous redevenus pieux, ils prient, ils sont fous! » - dit-il, et sans limite était son étonnement. Et à dire vrai tous ces hommes supérieurs, les deux rois, le pape hors service, le vilain illusionniste, le mendiant volontaire, le voyageur et l'ombre, le vieux devin, le scrupuleux de l'esprit et le plus hideux des hommes, ils étaient tous agenouillés comme des enfants et de vieilles dévotes, et ils adoraient l'âne. Et justement commençait le plus hideux des hommes à gargouiller et à baver comme s'il voulait faire sortir de lui quelque chose d'inexprimable; et voici que ce fut une étrange et pieuse litanie à la gloire de l'âne prié et encensé. Or telle fut cette litanie : » - (Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche

Amen! Et louange et honneur et sagesse et merci et gloire et force à notre terre, dans les siècles des siècles!
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Elle porte notre faix, elle subit le fardeau, elle est anxieuse de coeur et toujours nous rappelle notre faute; et qui aime sa terre la sanctifie.
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Elle ne discourt pas, sinon pour dire toujours Oui au monde du GIEC; de la sorte loue son monde. Sa ruse est de ne discourir; de la sorte rarement se trompe.
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Discrètement elle va de par le monde. Verte est la couleur de ce corps, en laquelle elle voile la vertu. A-t-elle de l'esprit, bien elle le cache; mais tout un chacun croit à ses longues oreilles.
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Quelle secrète sagesse que de porter de longues oreilles et de toujours dire Oui, et ne jamais dire Non! À son image n'a-t-elle créé le monde, aussi sot que possible?
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Tu vas par chemins droits et courbes, peu de soucie ce que nous autres hommes jugeons ou droit ou courbe. Par-delà bien et mal est ton royaume. Ton innocence est de ne savoir ce qu'est innocence.
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Vois donc comme personne ne rejette, ni les mendiants ni davantage les rois. Les petits enfants à toi laisse venir, et si t'appellent à eux les méchants garnements, dans ta simplesse tu dis : Ou-I!
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!
Tu aimes ânesses et figures fraîches, tu ne fais la fine bouche. Un chardon te chatouille le coeur, pour peu que justement tu aies faim. D'un dieu c'est bien sagesse.
-Or à ces mots Greta cria : Ou-I!

« Béni soit l'âne qui dit Oui! Bénis soient les nouvelles morales de l'ère post-factuelle. Bénie soit l'illumination intersectionnelle, les coeurs punitifs de Tweeter, les Madeleines médiatiques, l'auto-mutilation des corps brisés, la charge mentale des esclaves de l'Histoire patriarcale, le ressentiment des castes oubliées et le récit des arrières-mondes identitaires. Que notre dieu soit loué par les enfants cosmopolites et éduqués de la mondialisation verte. Marchons main dans la main avec les progressistes gravitant vers la révolution des coeurs et des esprits. Prions ensemble pour la transition. Nous la voulons, nous la souhaitons, nous la sanctifions de tout notre chair blanche et privilégiée. »

C'est ainsi que l'homme le plus hideux du monde et Greta l'âne s'échangèrent la parole durant plus d'une année, à rassembler, par-delà le monde blanc et éduqué, les petits enfants de la jeunesse mondialisée. Hystérisée mois après mois par la fin du monde hollywoodienne, et en total contradiction avec leur coeur pure de princesses Disney, la jeunesse éco-anxieuse a trouvé son idole qui traduit en mots simples leur ressentit auto-affirmateur de soi, ainsi que leur dieu – la planète – vers qui elle doit se tourner pour détruire tout le mal d'un monde dérangé, fou, malade, toxique.

Comme Zarathoustra, beaucoup sont abasourdis par l'ampleur du désastre. Eux-mêmes hystériques – comme tous les autres – ils vivent le présent fanatisés tel que le vit la cour de l'âne aux lulus. Ils ruminent en silence à y voir des répétitions du même, voir réapparaître les instincts grégaires de notre civilisation judéo-chrétienne, voir réapparaître Jeanne d'Arc, la vierge Marie et le Jésus chassant les marchands du temple en une image, un symbole, une vérité. La Sainte Greta sur son chemin de Compostelle, prête à obtenir son prix Nobel de la paix et la béatification la même année. Prête à s'immoler en direct de Youtube si seulement cela pourrait détruire le mal, soit-il orange comme Trump ou noir de pétrole comme ceux qui osent remettre en question sa hauteur d'âme – ces misogynes. Prête à tout pour sa série Netflix, prête à tout remettre en question : jusqu'à foxer l'école pendant un an et ne plus manger! Pour « changer le monde », « mobiliser les jeunes », « ouvrir des coeurs », « répéter ce que disent les Scientifiques »; faire vibrer le monde au son de « l'urgence climatique », poésie des écoliers de sciences humaines.

Comme Zarathoustra, beaucoup savent que cette hystérie vient quand le monde d'hier sublime à travers des corps atomisés. Que les effondrements de valeurs viennent avec la fondation de nouvelles. Que les idoles d'hier reviennent souvent avec de nouveaux habits. Ils voient l'époque des super-héros comme une pâle copie des anges et des démons, eux-mêmes une pâle copie des héros romains, eux-mêmes... Ils voient l'Histoire comme un fleuve impossible à prévoir dans l'avenir et où il est impossible de remonter dans le passé. Ils voient l'Histoire comme multiple, fracturée, immense, éparpillée et métamorphosée par l'infinité des perspectives réelles ou possibles. Ils voient l'aléatoire non pas comme un fondement morale, mais plutôt comme l'élément tragique et constitutif de la vie : ce qui permet la douleur et la jouissance. Ils voient la folie comme intérieure à l'existence humaine; son rejet dans l'extériorité étant la pire de toutes les folies.

Comme Zarathoustra, beaucoup sont anxieux de voir autant d'anxieux sortir dans la rue et prendre des photos. Ils voient dans cette exultation de coeurs vides un danger de masse, une possibilité de l'aléatoire, une rumeur de jugement à venir; une demande d'autorité morale forte qui viendra faire des listes. Certains le font déjà. Ils aiguisent leur crayon, affûtent leur clavier, préparent les bûchers et les annexes qui seront prêts quand viendra les prochains regains populistes. Et puis, après la surprise du moment, comme Zarathoustra nous ne pouvons que rire et sourire en se rappelant les paroles du plus hideux des hommes : « mort chez les dieux jamais n'est rien que préjugé ».



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