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Le bal des fétichismes

Le bal des fétichismes : critique de l'économie de la jouissance

« There are three rules in the animal kingdom. First, you don't want to be someone else's dinner. Then, you want to eat. And then, you want to fuck. Good night and good luck. » - (Gad Saad, prof à Concordia, auteur bestseller et scientifique de renommé dans les « behavioural sciences » en entrevue avec Joe Rogan, parlant des thèmes généraux étudiés en biologie évolutive)

Je suis quelqu'un d'assez prude en général. Les seuls moments où mes barrières tombent sans résistance sont lorsque je suis en présence d'une bien-aimée en qui j'ai entièrement confiance, ou à l'occasion de saturnales sanctionnées par l'alcool et d'autres drogues. À ces occasions bien précises, la possibilité du plaisir s'en trouve bien souvent multipliée. La vigueur des ébats se jumelant à la disparition d'une tension tenue en laisse, le désir se sublimant en une passion attentionnée qui choisit quand, comment et à qui se donner. La bal des fétichismes, c'est ma rencontre avec une société sans Dieu. Une société sans morale qui se cherche par son obsession de la sexualité. Sexualité prise non pas pour ce qu'elle est mais plutôt pour ce qu'elle manifeste de manière positive et quantifiable : nombre de partenaires, durée des rapports, types de rapports, atteinte ou non de l'orgasme, formes des corps et des organes, couleur et religion des corps, etc. Rien n'est caché à la science de la sexualité, exceptée la sexualité elle-même; ce « je ne sais quoi », cet environnement, cet art jumelant deux personnes l'espace d'un moment qui commence par la séduction et se termine par la volupté, en passant par la jouissance.

« Pour avoir renoncé à l'amour, on n'en est souvent que plus digne de peindre ses voluptés; peut-être les sent-on d'une manière recherchée et plus philosophique. Tout est volupté pour un homme d'esprit, tout est sentiment pour un cerveau bien organisé, tandis qu'un sot connaît à peine le plaisir; ses nerfs cependant peuvent entrer en convulsion depuis le sommet de la tête jusqu'à la plante des pieds, mais comme ils sont engourdis et difficiles à remuer à leur origine, jamais, et cela faute d'imagination, ils ne goûteront la volupté. L'esprit seul y conduit tellement, que je suis très persuadé que si tous les hommes avaient précisément la même imagination, ils seraient tous également voluptueux. Esprits mobiles et déliés, qui coulez librement dans mes veines, puissiez-vous toujours, au gré de mes plaisirs, faire voler le plaisir dans mon coeur. » (L'école de la volupté, La Mettrie)

La bal des fétichismes, c'est une sexualité détournée dans une économie de la jouissance standardisée. Une sexualité que les libertins comme Julien Offroy de La Mettrie rejetaient, car incapable de nous offrir la voie vers la volupté. Bien au contraire de la perspective actuelle, plus proche de Sade et Bataille, les libertins avec du style usaient de leur raison pour se dire à travers leur sexualité. C'est parce que le rapport à l'existence est un rapport sensuel et qu'il est indistinguable de l'entendement, qu'il est important de bien connaître son corps pour comprendre le monde; connaître sa sexualité pour comprendre celle de l'Autre.

Du plaisir à la volupté

« Chaque homme porte donc en soi le germe de son propre bonheur avec celui de la volupté. La mauvaise disposition, ou le dérangement des organes, nous empêche d'en profiter, cependant je pense que pour être aussi heureux qu'il est possible de le devenir, il n'y a qu'à s'appliquer à connaître son tempérament, ses goûts, ses passions, et savoir en faire un bon usage; agir toujours en conséquence de ce qu'on sent, de ce qu'on aime, satisfaire tous ses désirs, c'est-à-dire tous les caprices de l'imagination; si ce n'est pas là le bonheur, qu'on me dise donc où il est? » (idem)

Pour les libertins comme La Mettrie, vivant dans une société célébrant les passions tristes du christianisme – la haine de soi et de son corps, la honte des péchés et la peur des démons – l'apprentissage de la volupté demande de se connaître soi-même pour être capable de connaître l'Autre. Arrivé à ce point, les frontières n'existent plus; tout est découverte singulière. Ici je vois apparaître des formes qui ne demandent qu'à être caresser du bout des doigts, des rondeurs prêtent à être palpées délicatement, une silhouette cambrée exprimant le désir d'un mouvement de hanche, un lobe d'oreille excité par mes paroles douces, un cou qui frissonne par la pression de mon souffle sur sa chair, des tétons qui se raidissent instantanément par l'anticipation de la jouissance, un entrecuisse chaud et doux qui ne peut pas résister à l'assaut de mes baisers fiévreux.

Pour stimuler le plaisir, il faut connaître le plaisir et pour stimuler la volupté il faut tout autant la connaître en soi-même. La question n'est pas de se fier à ses attributs virils ou à son statut social afin de parvenir à la sexualité comme un relâchement des tensions de la vie; la stimulation d'un organe qui doit faire expulser une humeur dérangeante comme un corps étranger ou une écharde dans la chair, mais d'en faire le projet d'une vie, la construction d'une érotique solaire.

Cette « érotique solaire » évoquée chez les libertins repose ainsi sur deux fondations : la connaissance de soi pour la connaissance de l'Autre et la célébration de l'Autre pour le volupté de soi.

La célébration des différences

« Charmes magiques, aimant de la volupté, mystères cachés de Cypris, soyez toujours inconnus aux amants vulgaires; mais pénétrant tous mes sens de votre auguste présence, faites que je puisse dignement peindre celui que vous excitez, et pour lequel tous les autres semblent avoir été faits. On le reconnaît à son délicieux et puissant empire : il interdit l'usage de la parole, de la vue, de l'ouïe, de la pensée, qui fait place au sentiment le plus vif : il anéantit l'âme avec tous ses sens; il suspend toutes les fonctions de notre économie; il tient, pour ainsi dire, les rênes de l'homme entier, au gré de ces joies souveraines et respectables, de ce fécond silence de la nature, qu'aucun mortel ne devrait troubler, sans être écrasé par la foudre : telle est en un mot sa puissance immortelle, que la raison, cette vaine et fière déesse; rangée sous son despotisme, n'est, comme les autres sens, que l'heureuse esclaves des plaisirs. » - (La Mettrie, L'art de jouir)

La célébration des différences se fait bien malgré nous. La science montre que les hommes et les femmes choisissent leurs partenaires sexuels selon des attributs différents.Des millions d'années d'évolution ont fait de l'homme un animal à la raison surpuissante, mais toujours autant dominé par ses pulsions de vie. Dyonisos avant Apollon.

Selon ce que nous enseigne la biologie évolutive, l'homme recherche avant tout les signes de jeunesse et de fertilité. Les femmes, quant à elles, préfèrent de loin le prosélytisme du statut socio-économique. Partout dans les sociétés les plus égalitaires au niveau des lois et des politiques publiques ces stéréotypes sont renforcés plutôt que détruits. Partout où les sociétés créent des espaces inégalitaires les rôles attitrés tendent à être confondus et indifférenciés au niveau des sexes. Célébrer la différence nous amène donc inévitablement vers une impasse dès lors que cette célébration ne rentre que dans le cadre d'un mode de vie et d'existence qui est atomisé. On ne peut pas atteindre seul la volupté sexuelle comme on ne peut pas se construire comme individu sans société pour nous accueillir.

C'est dans cet optique que partout sur la planète la monogamie est célébrée. Elle est célébrée non pas comme l'emblème du phallus patriarcal qui traverse les âges, comme nous le disent les féministes radicales, mais plutôt comme la possibilité d'un espace privé où le couple peut s'exprimer. S'exprimer par une esthétique singulière qui s'établit selon un contrat renégociable à toute heure du jour et de la nuit et qui se construit comme la célébration même de la vie. Un espace où il est possible d'écrire ses propres « manuels de l'oreiller » en compagnie de l'Autre qui nous connaît et que nous connaissons. C'est par cette célébration de l'Autre comme être complémentaire qu'on peut finir par tendre vers la volupté.


« Suivons partout le voluptueux, dans ses discours, dans ses promenades, dans ses lectures, dans ses pensées, etc. Il distingue la volupté du plaisir, comme l'odeur de la fleur qui l'exhale, ou le son de l'instrument qui le produit. Il définit la débauche, un excès de plaisir mal goûté, et la volupté, l'esprit et comme la quintessence du plaisir, l'art d'en user sagement, de le ménager par raison, et de le goûter par sentiment. » (idem)

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