Une contre-allée
philosophique
« La pensée
magique travaille l'historiographie classique de la philosophie.
Étrangement, les apôtres de la raison pure et de la déduction
transcendantale communient dans la mythologie qu'ils créent, puis
reproduisent à tour de bras en enseignant, rédigeant des articles,
professant, écrivant, publiant les fables qui, à force de
répétitions, deviennent vérités et paroles d'évangile. Le
pillage, la citation masquée, la régurgitation conceptuelle du
brouet d'autrui et autres joyeusetés de la corporation mènent le
monde des rédacteurs d'encyclopédie, des concepteurs de vocabulaire
et autres auteurs d'histoire de la philosophie et de manuels à
l'usage des classes terminales. » (Michel Onfray, La puissance
d'exister)
Comme Michel Onfray,
je suis mort jeune. Il fût placé en orphelinat à l'âge de sept
ans, tandis que mon père m'abandonna à l'âge de quatre ans. Ces
traumatismes restent présents durant toute la vie mais ne
représentent pas la fin de l'histoire. Ces marques offrent la
possibilité d'exprimer une puissance d'exister qui se cache jusque
dans notre code génétique.
Trapped in a maze of
endless walls
These blockades must
fall
- (Muse, Blockades –
Simulation Theory)
Enfant modèle mais
turbulent, j'ai appris assez tôt à mettre un couvercle sur cet
épisode de ma vie. La jeunesse étant de mon bord, j'ai appris à
faire avec le fait de n'avoir aucun modèle dans la vie. Aucun modèle
sauf Patrick-e Roy, qui plus tard on l'apprendra, n'est pas du tout
un modèle de vie à suivre. Une chose que partage la grande majorité
des athlètes professionnels. Quelle tragédie! Chaque année le même
refrain. Au-delà de 30 jours par année d'absence pour diverses
raisons : manquer un travail d'équipe parce que l'idée de
travailler en équipe m'angoissait, un épisode de bullying qui me
demandait une pause pour reprendre mon énergie, un cours que je
détestais, une mauvaise nuit de sommeil ou encore éviter une
situation sociale et la possibilité de la honte.
Comme dans toutes
les histoires du genre, les problématiques restent latentes jusqu'à
ce que le corps soit incapable de compenser pour le stress qui
perdure dans la tête. Ce ne fût pas la dépression au cégep, ni la
seconde à l'université ou encore la rupture amoureuse qui m'auront
pousser à aller voir ce qui se passait en-dedans, mais des crises de
panique que je prenais pour une gastro-entérite. Ce ne fût pas le
gastro-entérologue, ni mon médecin de famille ou encore la panoplie
de professionnels, pédagogues et spécialistes qui croisèrent ma
route qui me poussèrent à demander de l'aide, mais ma propre
curiosité à regarder en face d'où venait tous ces petits désordres
physiologiques.
Le temps de la crise
J'ai 23 ans et je ne
vais pas bien. Les matins sont pour moi des souffrances
interminables. Mon estomac est un champs de bataille de 5 heure à 10
heure du matin et je ne comprends pas pourquoi. J'étudie dans un
programme pour devenir technicien ambulancier et cela me frappe :
j'apprends dans mon cours de psychopathologie que l'anxiété a les
mêmes effets que ceux que je vis le matin... je discute avec
la professeure (qui était psychologue et avait déjà pratiquée) et
tout commence à s'expliquer. Les liens se font un à un.
Durant les deux
années qui ont suivies, et parce que j'ai eu la chance d'avoir une
psychologue qui était spécialisée dans la douance, j'ai pu
apprendre à cerner les stresseurs qui me menaçaient jusque dans la
chair, reconnaître les moments où il m'était dangereux d'agir de
manière impulsive ou unilatérale, et tenter de désamorcer le
rumination qui s'enclenchait bien malgré moi dans nombre de
situations. Une version condensée d'une thérapie
cognitivo-comportementale pourrait-on dire.
Malgré cette
béquille, et d'autres prescrites, le calvaire continue. D'autres
années filent et d'autres échecs s'empilent. Peu importe où je
regarde, l'accumulation de douleurs et la montée d'une rage
incandescente se font voir à l'horizon.
Une deuxième chance
accordée à la philosophie
Je suis un étudiant
seul dans une région que je ne connais pas et j'apprends que je ne
suis plus couvert par l'aide financière avec rien dans le
frigidaire. Cela sera ma dernière session universitaire. Tout
s'emballe de nouveau en moi. Rumination, colère et incompréhension.
Je suis une bête apeurée perdu au fond d'un précipice qu'il ne
peut remonter.
C'est étrangement
dans ce genre de moment que des fâcheuses coïncidences se mettent en
branle. Ça a probablement à voir avec la certaine ouverture des
personnes qui sont dans des situations désespérées. Dans tous les
cas, comme à mon habitude je regarde les émissions télé qui
parlent de politique et je tombe un samedi de 2015 sur un « On
n'est pas couché » où Michel Onfray est l'invité. Je tombe
en bas de ma chaise tellement la rencontre me parle. C'est donc ça
la philosophie?
Comme tous les
enfants de ma génération qui ont atteint le cégep, j'ai fait ces
cours de base qui sont tant haïs. Mais la philosophie scolaire
n'aura jamais attiré mon intérêt. C'est seulement aujourd'hui que
je peux vous expliquer pourquoi.
La sculpture de soi
Zénon, Platon,
Aristote, Descartes, Kant, Sartre... tant de noms et de concepts et
si peu d'intérêt! Comment se fait-il que cette jeunesse reste
imperméable à tout ce savoir? Parce que ce « savoir »
dépasse la valeur des écrits et des concepts, il est aussi et en
même temps une manière de s'incarner comme personne. Le monde de la
culture est rempli de ses héros qui nous permettent la possibilité
d'incarner des valeurs et de trouver des buts à notre existence.
Les succès de
Michel Onfray et Jordan Petersen, autant dans le nombre de livres
vendus que dans le fait de faire apparaître des foules pour venir
entendre des gens parler de philosophie, c'est le contre-jour de
l'échec du modèle éducatif de l'apprentissage de la philosophie.
Ce qui caractérise les deux à leur manière, c'est leur style :
une manière d'incarner les propositions qu'ils avancent et le fait
de proposer une histoire où l'individu se trouve au centre non pas
comme « demandeur » mais comme « bâtisseur »
d'un « moi » qui grandit à chaque jour.
Donnez un livre de
Platon à un étudiant qui l'aura eu difficile pendant son enfance et
il utilisera le papier pour se rouler des joints. Ce qui a fait la
force et l'incandescence des philosophies antiques, puis de la
religion chrétienne, c'est le lien fondamental entre le discours et
le mode de vie qui s'énonce par le discours. Et ce que nous propose
ces auteurs, chacun à leur manière, c'est une proposition
existentielle soutenu par un corpus dans toute l'histoire de
l'humanité.
Pour moi, Michel
Onfray aura été un initiateur. Il m'aura proposé une perspective
qui m'était inconnue jusqu'alors et m'aura donné la possibilité de
comprendre autant le monde contemporain que ma propre personne. À
partir de ce moment, c'est l'écriture d'un nouveau chapitre de ma
vie qui a débuté.
It takes a leap of
faith
To awake from
delusions
You are the coder
and avatar
A star
- (Muse, The Void –
Simulation Theory)
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