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Qu'est-ce que la satire? Un plaidoyer de culpabilité

Qu'est-ce que la satire? Un plaidoyer de culpabilité

Il semblerait qu'un bruit court, tout autour de nous. Une rumeur qui nous guette à tout moment, prête à nous saisir d'un bond, nous emportant avec elle en dehors de la réalité. « Fake news! » , « Fake news! », répètent les haut-parleurs de la comédie publique. Quand c'est pas moi c'est l'autre et quand c'est pas l'autre c'est Dieu, le Concept, l'Idée pure et sa belle-soeur l'Arrière-monde. L'Histoire est ré-écrite, et la rumeur veut, que cette version-ci, choisie par les nouveaux-vieux, soit la preuve immaculée du péché originel; le péché de l'Homme-blanc-cis, patriarche de toutes les tragédies et premier moteur immobile de toutes les cruautés. Emprisonné a perpétuité, l'Homme-blanc-cis est condamné. Sa Raison est déraisonnable, du fait même de sa supériorité. Il ne peut comprendre parce qu'il n'a pas vécu et il ne peut pas avoir vécu en étant privilégié; telle est la vérité du cercle droit de ces nouveaux-vieux. Ces adeptes de l'Idée travaillent à tout heure du jour et de la nuit, parcourant les flots de données d'une rivière infinie impossible à sonder, afin de pêcher quelques spécimens pour leur télé-réalité : les poissons-rats rappelant les pensées brunes foncées de la peste des épisodes précédents. Ainsi, fonctionnant par amalgame, ils assimilent et guettent les données; ils « screenshotent, croppent et fusionnent » les clichés de leurs Harcelés; ils cultivent, leur haine et leur ressentit, comme une terre d'Angoisse et de Terreur prête à exploser; et recrachent le tout quand le rideau se lève, juste à temps pour indigner leur public cible, segmenté, prêt à jouir devant cette douleur fantasmée.

« Ah je jouis de cette moraline! » pouvons-nous entendre les chaînes de masse dire après s'avoir allumés une cigarette sur le bord de l'oreiller. Confidence assumée au couché, mais aussitôt oublié au levé.

« Le talent d'amuser est un art que j'admire;
Mais ce talent tout seul ne fait point la satire.
La satire demande un style vif, pressé,
Qui jamais de grands mots ne marche embarrassé;
Et, de mille façons se repliant pour plaire,
Il faut que, tour à tour, sérieuse ou légère,
Ici, de l'éloquence elle sème les fleurs,
Là, de la poésie étale les couleurs;
Et quelquefois laissant la pompe du langage,
Emprunte aux gens du monde un riant badinage.
Souvent d'un trait malin la mordante gaieté
A mieux qu'un argument vengé la vérité. » - (Horace, Satire X, Livre I)

Il semblerait qu'un bruit court, mais tout étouffé. Ce serait les savants, intellectuels et chercheurs en quête d'air, en quête sévère. Ils seraient censurés et décommandés, des ondes, des tribunes et des universités. Battus en brèche par des groupuscules du Portique situés à l'intersection des luttes de la Vertu et de la Violence, ces libertins contemporains portent les stigmates du seul péché de leur existence. Ils sont chassés du Temple de la Vérité et ne peuvent plus y rentrer. Ils doivent faire preuve pénitence, acte de contrition et établir la liste de leurs privilèges qu'ils devront réciter, au moment de la prière de leur retour dans la communauté.

Mais non!

« C'est faux! » clament les censeurs en coeur, en réponse à cette rumeur sourde. «  C'est l'ère de la post-vérité », nous rappellent-ils, ces rhéteurs de mauvaise foi. Ils inversent la cause et l'effet, puis peinturent des cornes sur l'effet, puis le montrent du doigt en riant, en criant et en hystérisant de tout leur poids.

« Désirez-vous charmer les solides esprits?
Sur l'enclume souvent remettez vos écrits,
Et, dans ses préjugés dédaignant le vulgaire,
A des lecteurs choisis contentez-vous de plaire.
Seriez-vous curieux d'entendre sur les bancs
Vos ouvrages dictés à des marmots d'enfants?
Pour moi, je n'eus jamais cet orgueil ridicule,
Et suis fort de l'avis de l'actrice Arbuscule.
Le peuple l'insultait : sifflez, hommes grossiers,
Dit-elle : il me suffit de plaire aux chevaliers. » - (Horace, Satire X, Livre I)

Ces mendiants du pouvoir, qui nous émeuvent de leurs facéties identitaires, décident donc de s'en prendre à la populace quand c'est le pouvoir en place qui se joue de leur mauvaise... Foi. Ces adorateurs de la vénération bien agenouillée, souhaiteraient bien pouvoir faire voter toutes les lois sur les Suspects qu'il soit possible de voter. Ils le voudraient pour rétablir l'ordre dans la cour des Idées. Ou plutôt pour que suive le cours de Leurs idées! Et c'est ce qu'ils font en poussant chaque jour vers la pathologisation, la psychologisation, la judiciarisation et la dénégation du principe même de contradiction!

Ces militants de la belle parole nagent dans leur désespoir. Ils savent que Dieu est mort, mais veulent le réincarner à leur image, comme un Homme-fort. Comme un coffre-fort pour les idées qu'ils jugent dangereuses, les personnes qu'ils jugent trop visibles, les pensées qu'ils jugent trop blanches, trop masculines, trop hétérosexuelles, trop cissexuées. Ils souhaitent renverser les relations de pouvoir, déconstruire les discours et les histoires sur la société, modifier la langue parlée, écrite et bien pensée, afin d'uniformiser le monde entier à leur vision essentialisée d'un fractionnement universalisé. Le tout en engrangeant les deniers et en profitant du soleil de leur célébrité momentanée.

Quand on fait face à tant de tyranneaux de la Vérité, il ne reste que la satire bien pensée et bien mesurée. Pour rire aux éclats en face du sérieux de la menace, garder une fière allure et être bien portant. Pour rester digne en face des passions tristes, se construire une éthique et une esthétique aux formes bien élaborées. Pour éviter l'amertume de la solitude, choisir son entourage comme les fleurs de son jardin; par ses formes, ses couleurs, ses parfums, ses racines et l'arrangement de ces perspectives à l'image de la seule réalité qui tienne : celle que nous devons partager.

« Allons, enfant, copie, et cours, loin des censeurs,

Ranger cette satire à côté de ses soeurs. » - (Horace, Satire X, Livre I)

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