Psychohistoire du
petit Québec dans le Canada
Au début du mois de
novembre, Emmanuel Todd fait une conférence sur le destin de
l'Europe après la vague populiste qui l'a secoué. Il
était invité en tant qu'anthropologue et démographe en premier
lieu, mais surtout pour son talent de prospective géopolitique
avant-gardiste. Il aura, dans sa « carrière » de
prospectiviste, prédit l'effondrement de l'Union Soviétique en
analysant le taux de mortalité infantile du régime totalitaire,
prédit le printemps arabe grâce aux indicateurs de fertilité des
régimes de la région, vu d'avance la perte d'influence de l'Empire
américain sur le reste de la planète et aperçu avant tout le
monde le sujet de la conférence (la vague populiste en Occident).
Ses travaux sont suivis par la plupart des dirigeants sur la
planète et il avoue entretenir en tant qu'individu des liens
d'amitié avec des politiciens et diplomates étrangers sur plusieurs
continents.
Suite à l'exposé,
c'est la phase des questions du public. Un jeune se lève et débute
en disant qu'il est comme Todd un avide lecteur d'Isaac Asimov, le
romancier de la série de romans de science-fiction « Fondation ».
Il lui demande, à cause de son niveau de succès de prospectiviste,
si, d'une certaine manière, ce qu'il appelle dans son dernier
ouvrage « Où en sommes-nous? » « l'anthropologie
démographique ou la démographie anthropologique » est un peu
comme la base d'une science que l'on pourrait nommer la
« psychohistoire ». Il enchaîne en lui demandant à la
rigolade s'il n'est pas d'une certaine manière le Hari Seldon de la
réalité.
« Psychohistoire
- ... Gaal Dornick, utilisant des concepts non-mathématiques, a
défini la psychohistoire comme une branche des mathématiques qui
s'intéresse aux réactions des regroupements d'humains en réaction
à des stimulis sociaux et économiques quantifiables...
... Implicite à
toutes ces définitions est la supposition que l'échantillon
d'humains est assez large pour que son traitement statistique soit
valide. La taille de l'échantillon d'un tel regroupement est
déterminée par le Premier théorème de Seldon... Une autre
supposition est que le regroupement d'humains doit lui-même être
ignorant de l'analyse psychohistorique dont il est l'objet afin que
ses réactions soit réellement aléatoires...
La base de toute
psychohistoire valide réside dans le développement des fonctions de
Seldon qui démontrent les propriétés congruentes des forces
sociales et économiques...
ENCYCLOPEDIA
GALACTICA »
-
(Isaac Asimov, Fondation)
Après
pareil préambule, il serait totalement faux d'en conclure qu'il
s'agit ici du syndrome typique du prophète halluciné puisque Todd
ne revendique aucunement la perfectibilité statistique – ou peu
importe – de sa méthode. Ça serait plutôt présomptueux de sa
part. Par contre, ce que ses analyses nous proposent, à partir de
ses travaux sur les structures familiales : travaux sur les
familles nucléaires américaines, françaises et anglaises, les
familles souches allemandes et japonaises et les familles
communautaires russes et chinoises, c'est la possibilité d'étudier
l'histoire géopolitique récente sur le mode des longues durées. Ce
faisant nous sommes à même de saisir certains courants majeurs
mondiaux comme celui de l'éducation supérieure de masse en
stagnation à un certain seuil éducatif pour l'ensemble de la
planète et entraînant une crise de cohésion sociale, ainsi que des pôles régionaux de manifestations de divergences politiques et économiques, sociales et morales, profondes sur l'ensemble du globe.
Des trajectoires divergentes qui rendent compte d'une rémanence de
certaines valeurs régionales; comme une « mémoire des lieux »
dont les traces sont visibles dans la géographie, les collectivités
et regroupements familiaux, les religions, les nations, les
idéologies et leurs vestiges « zombifiés » qui
finissent toujours par intervenir dans les choix « conscients »
de l'homo oeconomicus. Homo oeconomicus « déraisonnable »
selon les économistes libéraux rappelons-le. À l'inverse de leurs théories évidemment.
Et
puis le Québec dans tout ça
Pour
le Québec, la « psychohistoire » de Todd nous permet
plusieurs constats de bases plutôt faciles à assumer : le
modèle familial dominant est nucléaire absolu avec des traces de
familles souche suite à la colonisation des français normands du début de notre histoire, à l'image du monde anglo-américain; la
religion catholique contre-réformée était dominante, puis s'est zombifiée après la
Révolution Tranquille, à l'image de la France périphérique au
bassin parisien; l'enseignement supérieure est en stagnation comme
ailleurs sur la planète; une stratification sociale éducative s'est
implantée via les politiques économiques et la ségrégation
géographique des zones scolaires, comme partout en Occident; et une dynamique inégalitaire
raciale persiste – mais bien diminuée - entre les anglo-Canadiens
et les Québécois, puis, plus perceptible - entre les majorités
anglophones ou francophones des provinces, envers les minorités
présentent sur leur territoire (minorités autochtones, francophones ou
anglophones), à l'image de la démocratie américaine.
L'éducation,
la religion, la famille, la nation
La
« vision anthropologique de l'histoire » de Todd utilise
une analogie freudienne afin de mieux décrire les phénomènes mis
en cause. Durant l'introduction de son dernier ouvrage il y a va avec
une masse : « si nous ne comprenons pas ce qui se
passe aujourd'hui dans le monde, c'est parce que l'économie, en tant
qu'idéologie dominante, est une magicienne de la fausse conscience,
qui fait obstacle à la description complète du monde, et, qui,
lorsque la réalité filtre, déclare secondaire ce qui est
primordial, ou mieux, prend l'effet pour la cause et la cause pour
son effet. » Pour dépasser cette vision économiste de
l'histoire mondiale incompréhensible, il choisit de pénétrer dans
l'histoire afin d'aller dans le « subconscient de la société,
l'éducation », puis encore plus profondément dans « le
véritable inconscient des sociétés, la famille et la religion en
leur interaction complexe ». Ce voyage anthropologique nous
amène donc à l'hypothèse centrale du livre qui est en complète
contradiction avec l'idéologie prédominante des élites
globalisées : les trajectoires anthropologiques,
démographiques, économiques, politiques et militaires des nations
du globe sont en pleine divergence les unes des autres.
L'hypothèse
globaliste
Suite
à la troisième révolution éducative – l'éducation supérieure
de masse – et ce, partout sur la planète où un certain seuil
éducatif est atteint -, s'est construit une stratification éducative
sur le modèle de la « méritocratie » protestante; la
Providence scolaire. Cet événement anthropologique a amené une
crise de cohésion dans le corps social qui explique la polarisation
électorale et les inégalités sociales de la province. En cause, le
subconscient égalitaire de la famille nucléaire anglo-saxonne s'est
effacé au profit d'un subconscient inégalitaire propre aux vestiges
de religion catholique contre-réformé qui prévalait au Québec
durant la Grande Noirceure.
Oui.
Vous avez bien lu. L'élite éducative québécoise croit à la
méritocratie. Elle se croit réellement supérieure au reste de la
population et vit de plus en plus de manière renfermée, dans ses
ghettos géographiques enclavés où la mixité sociale est en chute
libre. Partout sur le territoire québécois se forme des enclaves
plus ou moins explicites, mêlant étalement urbain et tactiques pour
embourgeoiser les quartiers. Pour cette élite cosmopolite et
urbaine, à l'image de toutes les autres élites sur la planète qui
suivent les innovations de la Silicon Valley et du complexe
« Academia » dont Todd décrit l'importance ainsi :
« Academia marque des territoires : elle est devenue une
fonction urbaine essentielle. De sa présence ou de son absence
dépend souvent, pour une ville moyenne de l'âge postindustriel, la
prospérité ou le dépérissement. », l'être humain est un
homo oeconomicus qu'on peut retirer de l'histoire et du territoire
afin de le rendre mobile sur la planète mondialisée. Cette
flexibilité totale de l'individu, avec la négation de toute
« mémoire des lieux » permet l'hypothèse d'une
convergence mondiale des nations vers une puissante entité globale :
le rêve des transhumanistes libéraux... et des bobos qui adorent voyager pour ouvrir leurs horizons.
La
cassure de la réalité
Cette
hypothèse globaliste s'est effacée suite au « regain
démocratique » de la vague populiste occidentale. Comme le
décrit Todd, le Brexit, Trump, ainsi que les autres gouvernements...
autoritaires en Europe de l'Est, démontrent l'absurdité de la
démarche. De même, cette élite globaliste continue à croire à
la possibilité de résoudre la crise démocratique de la zone Euro
qui sévit depuis la crise économique de 2008. Comme Todd le
dit : « La zone Euro est le théâtre d'une guerre
économique à affrontement maximal ».
Ceci est la réalité du fait économique. Et cette réalité existe sans que nos
bonnes élites en prennent pleine conscience.
Pour
le Québec, la réalité tourmentée est celle de nos rapports avec
les traités de libre-échange en Amérique du Nord, ou encore avec
les traités Trans-Pacifique ou avec l'Union Européenne. Dans le
monde globalisé, le Québec est une minuscule économie protégée
par un Canada, lui aussi minuscule, sous la protection directe
américaine. Cette réalité implique aussi des dynamiques propres
entre le Québec et les autres provinces, et entre le Québec et le
gouvernement fédéral. Mais ce qui est sûr, c'est que, comme le
souligne Alain Deneault, le Canada est un paradis fiscal sectoriel
pour des dizaines d'entités globales sur le globe, et que sous la
crise démocratique qui porte les votes des regains populistes, il est
possible de constater un phénomène chez nos élites. Ces élites éduquées catholiques zombies semblent avoir la même
envie pour la collaboration avec les maîtres de la mondialisation que les autres exemples du phénomène
décrits par Todd dans son ouvrage. Et que ces élites cachent ce goût de la collaboration avec
un mépris de classe pour les électeurs de la CAQ et les
cocaïnomanes du troisième lien de Québec.
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