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Éloge de la bienveillance

Éloge de la bienveillance

« ...on a raison de se louer soi-même quand on ne trouve personne pour le faire. »
- (Érasme, Éloge de la folie)

C'est la bienveillance qui parle

Les gens de ce monde tiennent sur moi bien des propos, et je sais tout le bien qu'on entend dire de la Bienveillance, même chez les bienveillants. C'est pourtant moi, et moi seul, qui émeut les Dieux et les hommes. Aujourd'hui même, la preuve en est faite largement, puisqu'il m'a suffi de paraître devant ce nombreux auditoire pour mettre dans tous les yeux la plus fière larme. Tout de suite, votre visage s'est tendu vers moi et votre sourire tiré m'a applaudie d'un doux malaise. Tous, tant que vous êtes, je vous vois, ivres du sang du fils de Dieu, mêlé toutefois d'un peu de champignons magiques, alors qu'il y a un instant vous étiez assis, décidés et rigoureux, comme des échappés du piège de l'araignée sur la croix.
Quand le beau soleil se dérobe à la terre, ou quand, après le printemps sévit les malaises de la sécheresse et de la famine, et qu'avec l'automne morose revient les zéphyrs, tout change d'aspect dans la nature, tout se rassis de couleurs vieillies; de même, dès que vous m'avez vue, votre physionomie s'est transformée. Ce que des rhéteurs, d'ailleurs considérables, n'obtiennent par leurs discours qu'à grand effort de préparations, c'est-à-dire remplacer un jugement morale par un autre, pour y réussir je n'ai eu qu'à me montrer.

Quoi de mieux pour la Bienveillance que de claironner elle-même sa gloire et de se chanter elle-même!

L'antique bienveillance latine

Descendant du latin « benevolens », signifiant (vulgairement) « bon » et « vouloir », l'histoire du mot nous raconte qu'être bienveillant c'est (en gros) « vouloir le bien et le bonheur d'autrui ». À l'époque du patriarcat originel, cette bienveillance se manifestait dans le réel tragique des rôles traditionnels et des structures hiérarchiques rigides : l'homme d'un foyer prenait en charge l'éducation de sa femme pour qu'elle puisse à son tour prendre en charge la maisonnée. Cette organisation du travail permettait ainsi à l'homme d'accorder du temps à la Cité et à la politique. Le patriarche détenant l'Autorité dans le foyer, c'est sur lui que reposait son mariage, son domaine et sa cité, et il était dans son intérêt d'assurer sa descendance en se montrant en exemple de virtù pour sa compagne qui maniait cette Autorité lorsqu'il quittait le domaine. De même pour son fils aîné quand il devenait en âge de représenter cette Autorité.

La Christ bienveillant

Avec le Christ vient la prise en charge de la bienveillance par la religion comme monopole spirituel sur les âmes des fidèles. Pour éviter le dés-ordre, la famine, la guerre, la misère, l'anarchie, et surtout, éviter de vivre en enfer pour l'éternité, les serfs devaient se soumettre à la bienveillance des agents du Christ portant des habits d'or et de pourpre. Car la sagesse n'était accessible que via les livres voyez-vous et il fallait se mé-fier de la tradition orale, des savoirs empiriques et du bon sens, commun des sans-dents et des sorcières. La Vraie connaissance, et donc, la Vraie accession à la bonne vie s'obtenaient en se soumettant à l'araignée sur la Croix. C'est le seul chemin de la Raison et ce chemin était bienveillant pour nos âmes si empreints aux passions de la chair.

Les idéologies

Un tremblement de terre frappe une des ville les plus pieuses d'Europe. Plus ou moins en même temps, on redécouvre Lucrèce et Épicure. Les peuples redécouvrent la Science et la Raison comme on retrouve le calme l'espace d'un moment au coeur même de l'oeil d'un ouragan. Cernée de toute part par les planètes et les atomes, le téléscope et la pomme de Newton, la bienveillance se replie en dehors de l'Église pour rejoindre le coeur des révolutionnaires. Ils en profitent pour guillotiner le Roi et faire naître la Terreur. Moment d'effroi. Les idéologies naissent de ce renouveau pour prendre en main la question sociale de toute la bienveillance dont les avants-gardes éclairées sont capables. Elles concentrent ainsi les savoirs de la modernité sur la condition de l'homme social afin de l'étudier sous tous ses angles et toutes ses facettes, prêtes à tout pour découvrir ses ressorts et mécanismes, ses équations psychologiques et processus pathologiques, ses natures et instincts cachés afin de déterminer qui sera le bon grain et qui sera l'ivraie. Elles théorisent toujours plus de nouvelles dialectiques et de nouveaux matérialismes historiques, tous moins précis dans la finalité et plus précis dans l'efficacité des massacres qu'elles promeuvent; elles affirment solennellement avoir percée le coeur de l'Histoire et de l'Homme, capable d'en créer des nouveaux modèles préfabriqués, meilleurs et bienveillants pour tous. C'est la fin de l'histoire.

Le retour sur terre

« Il est temps, à la façon homérique, de quitter les cieux pour revenir sur terre. Vous n'y trouverez ni joie, ni bonheur, si je ne m'en mêle. Voyez d'abord avec quelle prévoyance Dame Nature, génitrice et fabricante de genre humain, a bien soin de laisser en tout un grain de folie. D'après les Stoïciens, la Sagesse consiste à se faire guider par la raison, la Folie à suivre la mobilité des passions. Pour que la vie des hommes ne fût pas tout à fait triste et maussade, Jupiter leur a donnée beaucoup plus de passions que de raison. En quelles proportions? C'est l'as comparé à la demi-once. En outre, cette raison, il l'a reléguée dans un coin étroit de la tête, abandonnant aux passions le corps tout entier. Enfin, à la raison isolée, il a opposé la violence de deux tyrans : la Colère, qui tient la citadelle de la poitrine avec la source vitale qu'est le coeur, et la Concupiscence, dont l'empire s'étend largement jusqu'au bas-ventre. Comme la raison se défend-elle contre ces deux puissances réunies? L'usage commun des hommes le montre assez. Elle ne peut que crier, jusqu'à s'enrouer, les ordres du devoir. Mais c'est un roi qu'ils envoient se faire pendre, en couvrant sa parole d'injures; de guerre lasse, il se tait et s'avoue vaincu. » - Éloge de la folie, Érasme

L'ère des grands récits historiques n'est plus. Les idéologies ne peuvent expliquer la montée des populismes en Europe et dans les Amériques. Elles se trouvent, malgré les monopoles de la Raison et de Bienveillance, incapable d'amener une solution à l'énigme posée par la folie de ces Hommes forts qui entrent sur la scène publique malgré le déversement journalier de moraline à l'image de l'huile sur les Sarrasins à l'assaut de Jérusalem. Les petis tyranneaux de la politiques tentent de nous illuminer de leur bien-pensance à coup de slogans comme « yo t'es réactionnaire », « sale xénophobe », ou encore le classique «  tu ne peux pas invisibiliser les victimes et nier leur ressenti »; inepties affectives créer par ces rhéteurs pour faire mouiller les bonnes femmes. Et toute l'ardeur de leurs pensées politiques, toute la puissance de leur volonté et toute la force de leur caractère culmine par un pacte, des incantations théâtrales et des cérémonies de sorcières pour jeter un mauvais sort à l'agent orange.

En face de tant de tragédies humoristiques, de tant d'audace et de vertus, en face de cette ferveur affective en puissance, je cède et me réfugie dans la folie : « Comme il est d'une suprême sottise d'exprimer une vérité intempestive, il est de la dernière maladresse d'être sage à contretemps. Il agit à contretemps celui qui ne sait s'accommoder des choses telles qu'elles sont, qui n'obéit pas aux usages, qui oublie cette loi des banquets : « Bois ou va-t-en! » et qui demande que la comédie ne soit pas une comédie. Tu montreras du vrais bon sens, toi qui n'es qu'un homme, en ne cherchant pas à en savoir plus que les hommes, en te pliant de bon gré à l'avis de la multitude ou en te trompant complaisamment avec elle. « Mais, dira-t-on, c'est proprement de la folie! »Je ne contredis pas, pourvu qu'on m'accorde en retour qu'ainsi se joue la comédie de la vie. » - Éloge de la folie, Érasme



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