« L'infantilisation
définit l'une des modalités de la démagogie. Or, l'alternative est
simple : soit on hisse le public jusqu'à la philosophie avec un
effort pédagogique digne de ce nom – on propose alors une
initiation intellectuelle; soit on descend la discipline jusqu'au
consommateur en lui faisant croire qu'il y accédera avec un
« livre »lu dans un minimum de temps, avec un minimum
d'effort intellectuel, un minimum de culture, un minimum
d'investissement mental et un minimum de dépense en euros : on
propose alors une démission intellectuelle susceptible d'un maximum
de rentabilité pour l'auteur et l'éditeur, ici larrons en foire. »
- Rendre la raison populaire, Michel Onfray
Hier soir j'étais à
un lancement de livre souverainiste (La grande déception, Francis
Boucher) pour supporter un bon ami que j'ai rencontré via les médias
sociaux. Évidemment, les discussions dans la salle tournaient autour
des élections provinciales et de l'événement #MadMaxBernier. Vers
la fin du lancement, je parle avec un convive de l'importance d'aller
au fond des idées lorsqu'on utilise un média pour rapporter de
l'information. Il en rajoute : « je crois qu'il
manque de grands formats au Québec pour interviewer des gens ou
parler de sujets complexes. Par exemple, avec un 8 minutes, je ne
peux me permettre d'aller au fond que d'une seule idée ». Ah
que c'est bien d'entendre ce genre de musique à mes oreilles! Moi
qui ne cesse de militer pour ça!
Si vous me
connaissez bien depuis longtemps, vous savez que je ne revendique pas
être un « porteur de vérité », mais plutôt que j'aime
raconter des histoires, des faits, des avancés scientifiques;
j'adore discuter des actualités avec un brin d'humour et de cynisme;
j'ai une facilité déconcertante pour vulgariser des sujets
complexes ou complexifier un sujet simple et que si je suis de bonne
humeur je peux débattre des heures durant jusqu'à rendre
inconfortable certaines personnes qui sont plutôt habituées aux
rencontres formelles avec beaucoup de smalltalk.
J'essaie, depuis
toujours et tant bien que mal, d'incarner mes valeurs à la manière
du nietzschéen que j'étais sans le savoir.
Je ne reviendrai pas
plus qu'il faut là-dessus. Si vous avez eu le malheur de me demander
d'où je viens vous le savez; mon enfance et mon adolescence furent
difficiles. Ces types de passé ont tendance à former des
individualités qui ont certaines distorsions envers des symboles de
nos sociétés. Pour moi, ce fût l'autorité qui n'est pas méritée
par son représentant. Cette défiance de l'autorité peut être
antisociale ou asociale et le combat de ma vie est de m'en tenir à
des comportements qui sont asociaux plutôt qu'anti-sociaux et
destructeurs. Je n'aime pas la violence et je n'ai jamais de ma vie
aimé la violence. Étonnant pour un mastodonte de 100 kg et 6 pied 1
pouce non?
Ces deux traits mis
ensemble forment la matrice de l'homme de gauche que je suis.
« J'aime la
plèbe, oui. J'en viens, je suis un de ses produits. Elle ne me fait
pas peur, je ne la trouve pas monstrueuse et je préfère ses défauts
aux travers des patriciens. Le patricien, aujourd'hui, c'est la
grande famille du propriétaire au sens large du terme :
propriétaire du réel et du symbolique, des postes et du pouvoir, de
la représentativité et de la visibilité, de l'argent et des
rouages de la société, il exerce la puissance dans les entreprises
et les journaux, dans les médias et la cité, dans l'édition et la
banque, dans le commerce et l'industrie, dans la finance et la
police, dans la justice et le show-biz. Le patricien, droite et
gauche confondues, (...) communie dans un même monde libéral où
l'on est fort avec les faibles et faible avec les forts; le plébéien
aujourd'hui, c'est tout simple, définit celui sur lequel s'exerce le
pouvoir des patriciens... » - Rendre la raison populaire,
Michel Onfray
« Mais quel
genre de gauche populiste tu parles Yann? » diront les plus
sceptiques, armés de leurs sourcils en accent circonflexe. Une
gauche qui reconnaît les besoins qu'on comble grâce à un état.
Une gauche qui s'occupe de la question sociale – le problème des
classes dangereuses et de la misère - d'une manière minimaliste
mais efficace, en refusant de se soumettre aux diktats de l'idéologie
de la gouvernance et de la société de marché libérale
mondialisée. Une gauche qui fournirait une éducation républicaine
où la mixité sociale serait à l'honneur. Une gauche qui mettrait
fin aux centralisations techniques et administratives au sein des
services sociaux, de l'éducation et de la santé. Une gauche qui
prend en compte les changements climatiques, le transhumanisme, l'ère
des migrations de masse, la mondialisation financière libérale et
l'avènement d'un monde multipolaire rappelant les ligues durant la
renaissance en Italie. Une gauche qui reconnaît finalement que
certaines entreprises privées sont de facto souveraines aujourd'hui
et que s'opposer à l'une d'entre elles est équivalent à s'opposer
aux grandes puissances qui les financent. Une gauche qui est
socialiste, libertaire, démocrate et girondine dans ses fondements
et qui est pragmatique dans son fonctionnement.
« Mais le
gouvernement peut être décentralisateur, girondin, immanent et
monter de la terre des hommes. Dans ce cas-là, il n'a pas besoin
d'un État policier, mais d'un État libertaire qui garantisse les
libertés; il n'a pas besoin d'une soldatesque, mais d'un ordre
discuté dans des Maisons du peuple, contractuel et synallagmatique;
il n'a pas besoin d'une mythologie, mais d'une règle du jeu décidée
par les joueurs eux-mêmes; il n'a pas besoin d'une religion avec
temple de la Raison et culte de l'Être suprême, mais d'une
philosophie rationnelle populaire, autrement dit débarrassée des
oripeaux de la profession qui font passer de vulgaires guenilles pour
de la pourpre; il n'a pas besoin de l'agenouillement, mais de la
station debout, de la verticalité qui distingue les hommes des
autres mammifères; il n'a pas besoin d'obéir à un mâle dominant,
un chef de bande, un loup de meute, mais à sa décision confrontée
à celle d'autrui et sublimée par la délibération permanente.
Depuis le triomphe des Jacobins en 1793, cette configuration est
présentée comme une fiction. » - Décoloniser les provinces,
Michel Onfray
« Alors
pourquoi pas QS? », répètent en coeur mes amis souverainistes
de gauche. Chaque fois que je dois faire l'inventaire des positions
centralisatrices et autoritaires de ce parti de gauche, j'obtiens des
réactions fortes, des déceptions. Mais ce parti, comme tous les
autres, a une histoire et il existe une généalogie de cette
histoire. Or, bien malgré moi je ne peux pas oublier la présence
forte et dominante de certaines formes de marxisme et un monopole
d'idée accordé à ce que j'appelle « les identity politics »
au sein de cette « petite nation au sein d'une grande ».
(Tocqueville au sujet des partis politiques, De la démocratie en
Amérique).
Dans le cadre
politique partisan québécois, aucun parti ne représente cet idéal
de société. Aucun parti met en valeur cette dialectique pour
émanciper le peuple québécois des entraves qui nuisent à son
autodétermination comme nation respectée et respectable sur la
planète. Comme être cynique, je ne peux m'empêcher d'entendre le
rire élevé de Zarathoustra suivi d'une maxime de son père :
« Dieu est mort! »
Cette ligne de
Nietzsche fût trop souvent mal comprise par les glossateurs qui s'en
revendiquent. Ce qui est finit, ce n'est pas l'Idée de Dieu mais
bien l'unicité de cette idée en occident : la possibilité
d'un grand récit pour unir l'ensemble des individus mués des
déterminismes qui les forment. De même, en prenant cette réalité
en compte et pour ne pas retomber dans la violence, les démocraties
libérales ont opté pour le pluralisme politique, le compromis, le
débat et la liberté de s'exprimer sans autorisation ni censure.
C'est pourquoi je milite à l'opposé du paradigme des « identity
politics »,qui, selon moi, mènent inévitablement vers la
faillite de ces valeurs libérales et démocratiques par leur manière
de racialiser, genrer et fractionner les rapports humains au point
d'en arriver à un solipsisme intellectuel ou à justifier la
violence et la censure idéologique.
Tout le monde vit
dans le même monde et possède le même genre de contraintes par
rapport au temps : une journée à 24 heures et nous devons
dormir pour la plupart d'entre nous. Mon énergie est mesurée et je
ne peux pas être de toutes les luttes. Dans le cadre politique
partisan québécois, cela me ramène au domaine des possibles et du
raisonnable en face du modèle de société idéal que je revendique.
L'avenir n'est pas
de bon augure. L'éducation et la santé sont désormais des
ministères à trois vitesses : privé, public avec service et
tarifs, public sans service. La mixité sociale est en chute libre.
La ségrégation géographique et les politiques d'urbanisme forment
des ghettos sociaux et ethniques où la présence de l'état se fait
plus rare... sauf dans le cas de la répression évidemment. Nous
sommes en crise de représentativité politique depuis près de 20
ans car les partis officiels monopolisent le système uninominal à
un tour qui les portent au pouvoir. Nous sommes soumis à des
contraintes liés aux traités de libre-échange qui modifient nos
politiques nationalistes que nous avions mises en place durant la
révolution tranquille afin d'assurer notre souveraineté agricole,
économique, technologique, culturelle et industrielle. Nous sommes
pris dans un étau et la pression s'accentue. Je ne vois tout
simplement pas de solution envisageable à court et moyen terme au
sein des partis actuels.
Tout ce que je vois,
c'est le jardin épicurien, la stature des individus d'exception et
la possibilité de voir d'autres formations politiques atteindre les
tribunes de l'assemblée nationale grâce à une réforme du mode de
scrutin qui mettrait une petite place à la proportionnalité des
votes. Ce que je souhaite voir à l'assemblée, c'est des partis
girondins, régionaux et différents dans leur approche du fait
politique. Ce que je souhaite voir, c'est l'émergence de forums et
d'assemblées régionales qui n'attendent pas une réforme de la loi
des municipalités avant de se rassembler et d'affirmer leur
souveraineté dans certains enjeux qui ont tout à voir avec leur
réalité plutôt que celle des gestionnaires, bureaucrates,
technocrates de Québec ou Montréal. Ce que je souhaite voir, c'est
un peuple québécois qui s'investit à l'école de leurs enfants et
dans le réseau de la santé afin que cesse les politiques de
centralisation et que l'on trouve un nouveau modèle pour remplacer
les CHSLD; ces camps de concentration modernes.
Pour moi, c'est ça
faire la politique « autrement ». C'est pourquoi je
m'abstiendrai le jour de l'élection tout en ne cessant pas de faire
de la politique.
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