Du marketing
politique et des élections québécoises
Les premiers
sondages sortent et les mordus de la politiques s'y abandonnent en
suivant les rituels médiatiques qui les portent à l'avant-plan à
la manière d'un télé-roman spectacle. Chacun y va de ses
prédictions métaphysiques; de ses analyses de courants, de marées
et de vagues portées par l'électorat volatile d'une société des
masses où les individus sont atomisés à leurs plus simples
dénominateurs : une identité chiffrée assignée par les « big
data » mondialisées. À mon tour donc de m'y soumettre, mais
selon mes propres termes : un sondage téléphonique de la firme
Ipsos du 20 août 2018. Un sondage avec une marge d'erreur, parce que
les sondages internet c'est comme penser qu'un Big Mac c'est de la
nourriture.
« Contrary to
popular belief, the past was not more eventful than the present. If
it seems so it is because when you look backward things that happened
years apart are telescoped together, and because very few of your
memories come to you genuinely virgin. It is largely because of the
books, films and reminiscences that have come between that the war of
1914-18 is now supposed to have had tremendous, epic quality that the
present one lacks. » - My country left of right, George Orwell
Dans ce essai
célèbre d'Orwell, écrit durant la deuxième guerre mondiale en
1940, mais aussi dans plusieurs autres essais et chroniques qu'il
écrivît dès son retour de la guerre d'Espagne, il nous rappelle à
quel point le média en soi module notre compréhension de la
réalité. Les humeurs de la population semblent toujours
« imprévisibles » pour les experts de cet univers
romanesque quand les sondages ne cadrent pas avec le storytelling
médiatique, les intrigues télévisuels et autres scandales
finissant en -gate.C'est d'ailleurs pourquoi j'annonçais dès l'été
2015, convaincu par les arguments de Chris Hedges dans son blog
(Truthdig),que Trump allait évidemment remporter l'investir
républicaine de 2016, et que je maintenais durant toute la campagne
présidentielle qu'il avait de bonnes chances d'être élu. C'est
pourquoi les médias britanniques ne comprennent pas ce qui s'est
passé avec le référendum sur le Brexit et qu'ils blâment la plèbe
des maux dont ils sont en partie responsables. C'est pourquoi
personne n'a vu venir l'émergence d'une série
de gouvernements nationalistes antilibéraux en Europe de l'est, du
nord et du centre... Enfin, que personne n'a vu venir à l'ouest (!)
bien éloignés que nous sommes des frontières
extra-civilisationnelles, du terrorisme hebdomadaire et du plus gros des vagues de migration qui
affligent la civilisation occidentale. « Imprévisibles »
parce qu'ils pensent que les gens gobent leurs histoires et que
l'électeur moyen, au courant des intrigues partisanes journalières,
est l'équivalent d'un consommateur électoral qui fait des choix
politiques rationnels en suivant la couverture des médias de masse.
Les chiffres et les
symboles
Je regarde les
tableaux non pondérés – donc avec les abstentions et les votes
« autres » - et ce que je vois est assez simple à
rendre :
1) Les hommes sont
trois fois moins indécis que les femmes. (17% vs 6%)
2) Le PLQ est
sur-représenté chez les anglophones (48%), dans Montréal (39%) et
reste fort chez les 18-34 ans (27%)
3) Le PQ est plus
marginal chez les jeunes que QS (11% vs 15%)
4) La CAQ explose
chez les hommes et les femmes (33%, 24%), chez les 35-54 ans (30%),
chez les 55+ (34%), chez les francophones (32%), dans la couronne de
Montréal (30%) et la région de Québec (36%), mais pas chez les
anglophones (13%) et dans Montréal (11%).
5) le taux
d'abstention le plus fort est chez les 18-34 ans (13%)
6) Au final, le vote
« jeune » est libéral à 27%, souverainiste à 26% et
réformiste à 16% tandis que chez plus vieux le vote migre du PQ à
la CAQ en fortes proportions depuis 2014.
Des idéaux de cette
jeunesse qui nous surprend
La souveraineté
n'est pas morte! Évidemment, le mouvement est en crise interne
depuis le second référendum raté et la loi sur le déficit zéro
qui força les gouvernements subséquents à procéder aux réformes
qui ont détruits notre filet social auquel on porte attention...
entre les élections plutôt que pendant. (Note importante : les
trucs à « coût nul » n'existe pas sauf dans le royaume
des licornes et des technocrates.)
Deux moteurs
poussent la présente élection : le clivage ouverture/fermeture
est le plus porteur chez les plus jeunes, les plus diplômés et les
habitants près de la métropole. Ailleurs, c'est plutôt l'idée
d'une alternance et le fait que Legault semble moins corrompu qui
portent la CAQ; en plus de son image entrepreneur-cool qui séduit
tant les habitants du 450 et de Québec, les mononcles et les matantes écoeurés de payer les salaires des employés de la SAQ qui les prennent en otage.
Les résultats mêmes
du sondage sont inintéressants. Tout le monde sait que la CAQ
entrera à moins que Legault fasse une gaffe de la hauteur de celle
de Marine Le Pen aux dernières présidentielles françaises pendant
son débat avec le Macron Jupiter Jr. Alors pourquoi utiliser le motif
de la présente campagne pour une chronique? Pourquoi m'approprier
culturellement un sujet si important?
Une nouvelle
mythologie consumériste
Une relecture de
certains courants protestants analysés par Max Weber dans
« L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme »; ou
encore la magnifique description de Georges Bataille de cette « part
maudite » inhérente à la société de consommation
industrielle, nous enseignent de la genèse de cette mythologie
portée désormais par plusieurs générations d'individus déracinés
par la mondialisation et unies autour de cette vision d'une identité humaine universelle. Une vision de l'homme comme construction sociale absolue. Une mythologie qui va jusqu'à soutenir les
préceptes progressistes du transhumanisme total : dépasser
l'homme pour le corriger, le guérir et l'augmenter. Une humanité
ouverte à toutes les différences. Une humanité sans barrière où
la distance est annulée par les multiples technologies et progrès
techniques, où les frontières sont des reliques du passé, où « le
nationalisme c'est la guerre », où « la guerre c'est la
paix », et où le bien-être, c'est « trois paiements
faciles de 39,99$ plus la garantie parce que c'est important si ça
brise t'sais ». Et pour bien encadrer les modes de consommation
et cultures misent de l'avant par cette société mondialisée,
l'individu sera réprimé et récompensé tant qu'il n'incorporera pas
les préceptes de ce dogme du bien-être consumériste bobo-libéral.
Ce paradigme
civilisationnel est basé sur un marketing des identités segmentées
au sein des populations étudiées et auxquelles on rattache des
modes de consommation, des statuts socio-économiques et des « droits
individuels » selon les strates sociales et le lieu
géographique où elles se situent. C'est une civilisation mondialisée,
sans distance entre les individus et sans frontière entre la sphère
privée et le domaine public. Une civilisation où nous sommes
constamment classés, quantifiés, numérisés, analysés,
surveillés, par les institutions du temple de la consommation. Une
civilisation où les débats politiques sont des débats autour de
personnalités et de leur savoir-être, des procès d'intention et
des jugements de valeurs, de la belle moraline et des chasses aux
sorcières. Une civilisation portée par la technologie qui nous
pousse à comprendre la politique par cette petite lorgnette. La
jeunesse progressiste, moi compris, s'y jette les bras ouverts, fier
d'avoir enfin la possibilité de nouer des liens avec des gens qui
pensent comme elle.
La jeunesse veut
l'ouverture sans concession. Mais elle n'accepte pas de voir les
effets et les conséquences d'une telle politique. On oublie qu'une
telle utopie mondiale impliquerait un état répressif présent sur
toute la surface de la planète, hyper centralisé et qui aurait une
police capable d'assurer un ordre mondial « humain et ouvert »
pour les droits individuels de chacun. Sinon, l'impossibilité
d'universaliser une telle idée s'accompagne avec l'énorme poids des
doubles standards entre les riches et les pauvres ou encore entre les
apatrides et ceux qui possèdent un passeport canadien. De telles
conséquences n'est jamais envisagées parce que la puissance de
l'homme face à l'ordre institutionnel est devenu l'équivalent de
celui d'une fourmi face à sa colonie.
Bien assis dans son
salon rénové et endormi dans son bonheur préfabriqué en solde
chez Ikea. Son attention monopolisé par les GAFAs (Google, Amazon,
Facebook, Apple, etc) jusqu'à le zombie-fier via cette lumière bleue qui détruit la rétine. Anxieux, insomniaque
et s'adaptant à son mode de vie grâce aux médicaments psychotropes
fournit par son médecin (anxiolytiques, somnifères,
anti-psychotiques et psycho-stimulants) ou auto-médicamentés
(illicites). Insécure, précaire et incapable de gérer sa vie de
couple ou la « charge mentale » d'une famille. Sexuellement inapte si formaté par la porno, en colère,
confus, dépassé et empreint à cracher son ressentiment aux
« ennemis objectifs » que les figures charismatiques
désignent. C'est un peu tout ça à la fois qui explique autant
« d'imprévisibilité dans l'électorat »... mais
« t'sais », parler de tous ces sujets tabous, est-ce que
ça rentre vraiment dans un format de 3 minutes, 5 minutes, 15
minutes, 30 minutes? Poser la question, c'est y répondre.
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