Crimes passionnels
et tueries de masse
« L'animalité
a échappé à la domestication par les valeurs et les symboles
humains; et si c'est elle maintenant qui fascine l'homme par son
désordre, sa fureur, sa richesse de monstrueuses impossibilités,
c'est elle qui dévoile la sombre rage, la folie infertile qui est au
coeur des hommes. » - Histoire de la folie à l'âge classique,
Michel Foucault
Un individu avec un
historique psychiatrique pète les plombs, prend un fusil ou un
camion et décide de partir à la chasse aux humains. L'histoire se
répète chaque semaine sur la planète. On n'y échappe pas et les
médias ne cessent de nous le rappeler. Les mouvances politiques
aussi utilisent ces faits divers pour mousser leurs campagnes de
financement. L'ère du temps nous porte à faire de tels atrocités
des spectacles qui seront marchandisés jusqu'à l'épuisement de
l'affect du public - l'épuisement des ventes, des clicks et du buzz.
Il serait avant tout
un homme nous rappelle les idéologues. S'il est blanc, c'est la
maladie, le féminicide machiste ou le racisme xénophobe, s'il est
d'une autre couleur, c'est la petite criminalité de gangster ou le
terrorisme nihiliste. Penser la fureur de ces individus serait donc
avant tout dresser le profil socio-ethnique, racialiser et genrifier les
catégories de crime?
Dans, L'histoire
de la folie à l'âge classique, Michel Foucault,dresse un
inventaire des types de partages moraux de la folie, ainsi que d'une
multitude de taxinomies qui ont émergé au fil du temps en réponse
à ces partages moraux. C'est dès le XVIIIe siècle que la notion de
« crime passionnel » ou encore de « fureur »
prend sens dans la littérature de l'internement : « Fureur »
(...) est un terme technique de la jurisprudence et de la médecine;
il désigne très précisément une des formes de la folie. Mais dans
ce vocabulaire de l'internement, (...) il fait allusion à toutes les
formes de violence qui échappent à la définition rigoureuse du
crime, et à son assignation juridique : ce qu'il vise, c'est
une sorte de région indifférenciée du désordre – désordre de
la conduite du conduite et du coeur, désordre des moeurs et de
l'esprit – tout le domaine obscur d'une rage menaçante qui
apparaît en deçà d'une condamnation possible. »
Après 150
d'internement et à travers ce regroupement autour du furieux, les
sciences de l'internement découvrent une vérité derrière un type
spécifique de folie et décident de faire de cette vérité et à
travers celle-ci la vérité de l'homme face au geste criminel qu'il
aura commis : « Cette région de folie et de fureur où naît
le geste criminel ne l'innocente justement que dans la mesure où
elle n'est pas d'une neutralité morale rigoureuse, mais où elle
joue un rôle précis : exalter une valeur que la société
reconnaît sans lui permettre d'avoir cours. On prescrit le mariage,
mais on est obligé de fermer les yeux sur l'infidélité. La folie
aura pouvoir d'excuse si elle manifeste jalousie, obstination,
fidélité – même au prix de la vengeance. La psychologie doit se
loger à l'intérieur d'une mauvaise conscience, dans le jeu entre
valeurs reconnues et valeurs exigées. C'est alors, mais alors
seulement, qu'elle peut dissoudre la réalité du crime, et
l'innocenter dans une sorte de don quichottisme des vertus
impraticables. » Mais ce partage implique un conflit dans la
société dans la définition de ce qui constitue une « valeur
reconnue » et une « valeur exigée ». Rien n'est
plus trouble aujourd'hui que ce partage du Réel.
De dénégation en
dénégation
Malheureusement pour
nous, l'ère du temps est celui de la victime, du puritanisme et du
conformisme idéologique. Ceux qui expliquent le mal, le normalisent
et ceux qui expliquent la raison derrière le geste horrible,
l'excusent. Rappelons-nous Manuel Valls quand certains intellectuels
tentèrent de faire une généalogie des attaques terroristes en
France : « expliquer la radicalisation, c'est l'excuser ».
Je me pose en faux de cette lecture idéologique d'un phénomène de
société qui traverse les époques de notre civilisation.
Refuser ainsi de comprendre la psychologie de ces tueurs de masse,
c'est pratiquer et encourager une forme d'enfermement et de
stigmatisation au sein de la société. C'est se priver d'une
critique de la société que nous devons entendre afin de faire face
au défi de la montée des extrême-droite et des mouvements
démographiques auxquels l'occident commence à peine à faire face.
La société de
consommation libérale mondialisée a multiplié les types
d'inégalités socio-économiques ainsi que la puissance de ces
inégalités. De même, elle suscite sans arrêt les passions,
affects, désirs, émotions et pulsions. Elle érotise l'individu à
travers les lumières, les sons, les odeurs; tout ce qui capte
l'attention d'un individu pour stimuler la croissance économique. La
vie s'accélère sans cesse et les individus se trouvent étourdis
dans une bulle où le Réel est dicté par le culte du bien-être
consumériste et les divers idéologies subsumant la « Réussite »
comme valeur individuelle ultime de ce monde totalitaire.
La mondialisation et
ses perdants
On le sait
aujourd'hui, la mondialisation et le libre-échange, c'est aussi la
mise en vente des secteurs de l'économie, auparavant nationaux, aux
multinationales souveraines, la précarisation de toutes les
professions, et une stratification de la société sous divers
perspectives : celle des ghettos socio-ethniques, celui d'un clivage
éducatif ou encore d'un clivage géographique, les trois se
polarisant à chaque résultats électoraux. Les perdants de la
mondialisation se rassemblent en groupes d'affiliations identitaires
et les individus atomisés forment ainsi des mouvements de masse.
Mouvements de masse qui finit par cibler des ennemis objectifs et
s'attarde à justifier la violence idéologique préventive dans
leurs discours.
Dans une spirale de
ressentiment, de haine, de colère et d'apathie et pour prendre le
contrôle de leur vie, les individus atomisés se radicalisent et se
polarisent. Le désordre et l'agression s'installe. Assailli de toutes ces
pulsions de morts, l'individu s'isole et bouillonne d'instabilité. La
fureur s'immisce lentement au fil du temps et puis vient un moment
où le fait de perdre une game de NFL2k19 dans un tournoi, c'est
suffisant pour faire exploser le bouchon et pousser l'individu à
tirer, à tirer et tirer encore. La vapeur redescend et en face de
sa monstruosité, le tueur pleur ou se tue.
Pour Hannah Arendt,
la misère, c'est « l'absence d'oeuvre » et je ne vois
pas meilleure définition pour définir telle réalité. C'est mon intime conviction que l'absence
d'oeuvre et la crise endémique de la culture font parties du
problème; qu'en s'attardant deux minutes à ce phénomène de
société – celui de l'isolement des jeunes hommes et femmes, de la
perte de contrôle sur le sens de leur vie, de la racialisation et
genrification constante des rapports sociaux rendant les individus confus et de la sur-stimulation de leurs désirs, que l'on peut faire
une généalogie de ce mal nihiliste qui secoue nos sociétés.
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