Pour une diététique médiatique
"Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images." - Guy Debord, La société du spectacle
À travers les débats publics auxquels nous avons droit cet été - interdire le burkini, interdire les pitbulls et interdire les blagues sur le "petit" Jérémy par exemple - nous avons droit, en tant que spectateur, au spectacle de l'éternelle opposition "progressistes vs réactionnaires". Que cela soit Radio X qui tape sur son bouc émissaire favori - la gauche du plateau - ou nos gentils chroniqueurs de "gauche" décrivant la société québécoise comme étant raciste, homophobe, voir carrément stupide, ce spectacle aberrant et abrutissant nous montre l'inefficacité des dialogues dans les débats publics sensés proposer un choc des idées. On nage plutôt dans une foire d'empoignes et un mépris de classe généralisé.
Fracture culturelle
Cette fracture culturelle est présente à tous les niveaux, dans les discussions politiques, les goûts artistiques et surtout à travers les lignes éditoriales des médias mainstream. C'est là où Guy Debord devient intéressant dans sa lecture de la société du spectacle; le spectacle de notre société, favorisant une fracture entre divers environnements sociaux-économiques, promouvant diverses trames narratives des enjeux de sociétés, en mettant de l'avant la vente de papier selon les clientèles idéologiques avec comme argument: "c'est ce que le public veut", nous amène à démoniser l'adversaire et refuser d'engager la discussion.
Barbares ontologiques
Cette fracture culturelle est encore plus frappante lorsqu'elle amène des Donald Trump et des Marine Le Pen aux portes du pouvoir. Bien entendu, les électeurs, étourdis par tout ce cynisme politique, l'insécurité des guerres et du terrorisme, la radicalisation idéologique et la précarité financière, cherchent avant tout à trouver un échappatoire aux discours creux; les spectateurs recherchent les discours de vérité, plus souvent qu'autrement démagogiques et alléchants pour leur palais gustatif. Pour le spectateur, son vis-à-vis n'est plus un être humain ayant une histoire et un contexte social propre à lui-même, mais plutôt un barbare ontologique qui représente toute la laideur du monde à lui seul.
Bien entendu, cette médiatisation des émotions, au détriment d'une présentation de contenus divers sensés nous amener sur le chemin de la compréhension, provoque la sécrétion de mépris et l'engraissement des spectateurs nourris par toute cette malbouffe médiatique.
Pour une diététique médiatique
Certains philosophes à travers l'histoire, que cela soit Épicure, Lucrèce, Nietzsche ou aujourd'hui Michel Onfray, ont tenté, et tentent encore, d'aborder la question de la philosophie par la pratique d'une "diététique": "La vie frugale pour commencer. L'autonomie du sage commence par son autosubsistance. Le Jardin d'Épicure n'est pas jardin pour rien. Les épicuriens de Campanie, dans le golfe de Naples que Nietzsche aimait tant, cultivaient leurs légumes pour ne dépendre de rien ni de personne. Ainsi, ils disposaient d'une nourriture saine, simple, naturelle, prélude philosophique à un corps en forme, vigoureux, capable de bien penser, donc de vivre correctement." - Michel Onfray, La construction du surhomme.
Cette manière de voir la vie "philosophique"; de "ni rire, ni pleurer mais comprendre" comme le disait Spinoza, peut nous amener à analyser les médias comme étant une nourriture culturelle avec laquelle nous nourrissons les spectateurs de la société du spectacle.
Considérant ainsi que nous sommes ce que nous mangeons, autant physiquement que culturellement et spirituellement, il m'est avis que la puissance des élites médiatiques et culturelles est telle qu'en ne nous donnant que du fast-food idéologique, ces élites ne font qu'engraisser cette fracture culturelle. Le tout afin de vendre du papier.
Comme pour le phénomène des déserts alimentaires - des populations entières n'ayant pas accès à de la nourriture non transformée à moins de 1,5 kilomètres de leur résidence - ces déserts médiatiques, proposant aux spectateurs que de la malbouffe culturelle, n'aident en rien à relever le niveau des débats publics. Cette diététique médiatique n'est pas un reflet d'une société stupide mais plutôt une cause du phénomène de mépris de classe.
Ainsi, la part du travail, pour le chroniqueur, le média, le journaliste et l'intellectuel n'est pas de verser dans la culture du ressentiment à l'endroit de la populace, mais plutôt de fournir les outils à toutes ces personnes, de relever le niveau des débats et de mettre en échec ce fléau d'obésité du ressentiment idéologique.
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