Le manger mou
Après des mois à souffrir d'un spectacle autant incroyable que déprimant, nos bons intellectuels et le peuple de mécréants écoutant Radio X se retrouvent face à une devinette incapable à déchiffrer: mais que se passe-t-il dans ce bas monde?!
Les terroristes n'écoutent pas nos prières et se foutent de perdre la citoyenneté en cas d'attentat ; le prochain président des États-Unis pourrait bien être Donald Drumpf, un dangereux espion communiste travaillant pour une Poutine; le coup d'État turc serait un faux coup d'État pour en cacher un autre, le tout orchestré par le maléfique président Erdogan; Mike Ward utilise le thème de la liberté d'expression afin de faire des millions de dollars sur le dos d'un pauvre enfant handicapé intimidé et brutalisé par des jokes de mononcle; les Brutes Lili Boisvert et Judith Lussier révolutionnent le monde des médias grâce à leurs totons, leur vulve et leur SUPER talent d'actrice dans des capsules scientifiques nuancées dignes de prix Nobel. Ouf! On se croirait simultanément dans 1984 d'Orwell et dans l'univers de Monty Python.
C'est pourtant si simple... de bien penser. Pourquoi est-ce qu'autant d'individus choisissent sciemment la démagogie plutôt que les ''grands intellectuels''? Le Québec - et le reste du monde - est-il tombé sur la tête?!
Monsieur A: ''Pour moi c'est clair, le Québec préfère les faiseurs que les parleurs. On n'aime pas ça les maudits bobos du plateau qui pelletent des nuages!''
Madame B: ''Bin voyons donc! Vous voyez bien que les Québécois n'aiment pas les intellectuels! Nous sommes une société a-n-t-i-intellectuelle voyez-vous! En plus d'être sexiste, raciste, homophobe, transphobe et islamophobe''
Après chaque diatribe réactionnaire des chroniqueurs du journal de Montréal et chaque pleurnichage victimaire de nos ''Brutes'' médiatiques, nous avons droit aux mêmes réactions dans le spectacle que j'appelle: le renouveau du manger mou Québécois.
Le renouveau du manger mou québécois, à l'affiche dans tous les médias près de chez vous!
Le Québécois moyen n'aime pas les conflits. Je ne parle pas des conflits physiques, je parle des conflits d'idées. Il se sent nu et facilement surpassé émotionnellement lorsqu'il doit enfiler des gants de boxe conceptuels pour défendre ses idées. En fait, il aime la sensation d'un spectacle mais préfère laisser les autres faire le gros du travail. Après tout, que penserait-on de lui dans sa famille, à son boulot ou sur les internets s'il osait construire lui-même une vraie position critique!
Le Québécois moyen aime les rivalités spectaculaires. Cette logique de la société du spectacle se répète dans la plupart des rivalités: Québec contre Montréal, Québec contre le Canada, souverainistes contre fédéralistes, gauche contre droite, pro-charte contre anti-charte, l'oeuf ou l'enveloppe, radio gesca contre les radio poubelles, Mike Ward contre Jérémy Gabriel, mon père est plus fort que le tient pis on va régler ça à quatre heure au rack à bicycle. Or donc, la nuance n'est pas de mise dans ce genre de spectacle. En fait, c'est trop de temps perdus que de décider d'un gagnant autrement que par le concours d'insultes, le name dropping et le flashage du succès empirique: ''moé je paie mes taxes pis j'ai plus réussi que toi dans la vie''.
Le manger mou implique que c'est beaucoup trop long de procéder à ce qu'on peut appeler le phénomène de ''la pensée critique'' en plus d'être extrêmement risqué. Faire sa propre investigation implique la possibilité de diverger d'opinion au sein de notre cercle idéologique. Ainsi, c'est l'exil qui nous attend car il est inconcevable que notre discours soit instrumentalisé par l'équipe adverse. In-con-ce-va-ble.
Le manger mou implique qu'il y des vedettes médiatiques intouchables et leurs némésis. Ces vedettes sont ceux qui transforment les aliments en liquide beige nutritif, parfait pour nous gaver du spectacle que nous suivons avec intérêt. Ces aliments sont surtout pris dans les médias étrangers, les rares livres qui circulent au Québec et surtout la tour d'Ivoire des écoliers; les ''recherches'' qu'ils appellent ça dans le jargon. Ainsi, on mise sur la personnalité qu'on aime le plus, par exemple Alexis et sa mère dans le téléroman Ent'Cadieux, pis on les suit coûte que coûte. Peu importe le message, ''eux ils savent de quoi ils parlent''. L'émotion avant la raison.
Le manger mou implique évidemment une perte de substance, une essentialisation du discours et l'érosion de la pensée critique. Dans le cadre du spectacle, on préfère laisser parler les spécialistes en communication, les belles personnes, les experts et le ''vrai monde'', t'sais ceux qui réussissent.
Le manger mou, dans ce spectacle médiatique, c'est la médiocratie décriée par Alain Denault dans l'ouvrage du même titre. C'est aussi le reflet de notre incapacité à répondre aux conflits sans se refermer sur nous-mêmes ou utiliser la violence. C'est la paresse devant l'idée de faire confiance en son propre jugement et la peur de ne pas faire plaisir autour de soi. C'est la médiocrité de nos institutions scolaires, médiatiques, politiques et morales.
Le manger mou, c'est facile, vite fait, simple à comprendre et, ultimement, un choix de vie.
Vive le manger mou.
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