Il y
a plus de trois mois, la grève étudiante commençait dans les cégeps et facultés
universitaires du Québec. Ce mouvement de protestation ne laissait pas à penser
qu’il serait le plus gros mouvement de grève de l’histoire du Québec. Plus de
150 000 étudiants en grève pendant plus de trois mois, des marées humaines
dans les rues de Montréal le 22 mars, 22 avril et 22 mai, des arrestations de
masses en quantité industrielle et plus de trois mille arrêtés. Tout ça au
Québec. Vraiment?
Je
me rappelle du début de l’année à mon cégep, Ahuntsic pour ne pas le nommer, là
où les membres du CA de l’AGÉCA (l’association étudiante) me disait : «Ici
à Ahuntsic, nous n’avons pas besoin de faire beaucoup de mobilisation parce que
le cégep suit tout le temps le mouvement de grève». Je me rappelle que je me
disais que ça n’allait pas fonctionner. Qu’au mieux, Ahuntsic serait en grève
deux ou trois semaines. Les évènements de ces derniers mois me prouvèrent le
contraire.
Je
me rappelle que j’ai tenté par tous les moyens de mobiliser mes collègues
techniciens ambulanciers paramédics. De leur expliquer l’impact d’une hausse
des frais de scolarités sur l’accessibilité aux études universitaires. Leur
expliquer que l’éducation n’est pas une marchandise, c’est un droit. Un droit
présent dans la plupart des sociétés «développés» et où il fait bon vivre. Je
leur disais qu’en Europe certains pays offraient même le salariat étudiant!
Imaginez donc, être payé pour étudier. Je l’aurais eu mon doctorat à ce prix-là!
On m’a
répondu bien des choses mais je n’ai jamais été autant blessé que par les
remarques des gens de ma technique. Ces collègues, avec qui je vais devoir
travailler plus tard, sont très rares à comprendre ces enjeux. Pour la plupart,
ils n’iront jamais à l’université et ils ont un concept très flou de toute la
politique. Il faut les comprendre, la grève, c’est compliqué. La grève, c’est
manquer des cours, c’est mettre sa formation sur pause, c’est peut-être même
perdre une année de salaire. Tout ça pour des étudiants qui veulent aller à l’université,
un endroit où ils ne mettront jamais les pieds.
On m’a
répondu que la grève «n’était pas le seul moyen pour faire valoir nos
revendications». On m’a répondu que «le gouvernement ne reculerait jamais. On m’a
répondu que «de parler tout le temps de grève, ça faisait l’effet inverse» et que
«certains sont tellement tannés qu’ils retireraient leur appui à la grève parce
que j’étais fatigant».
Pourtant,
j’ai continué. Pour mes convictions, mes amis, mes enfants et les gens que je ne
connais pas. Bref, tous ces gens qui veulent aller à l’université. L’éducation,
ce n’est pas une marchandise qui suit l’inflation. L’inflation qui touche le
savoir, c’est quoi ce concept aberrant? L’éducation, c’est une richesse
collective, c’est des emplois mieux rémunérés, c’est des millions en impôts de
plus pour nous tous et c’est faire avancer la société québécoise.
La
logique néo-libérale nous a implanté un faux débat de société : le concept
de «juste part». Le gouvernement nous dit que nous devons payer notre «juste
part». Mais qu’est-ce que la «juste part»? Est-ce que la «juste part», c’est de
donner aux riches multinationales nos ressources naturelles, des subventions et
des crédits d’impôts et de d’implanter un système de tarification qui
toucheront toutes les sphères de la société mais qui affecteront surtout les
pauvres et la classe moyenne? Est-ce que la «juste part», c’est de socialiser
les dépenses et privatiser les profits? Est-ce que la «juste part», c’est céder
le Grand Nord aux intérêts étrangers en utilisant un système de redevance
dépassé et d’oublier de leur demander de faire le ménage avant de partir?
Je
suis donc sorti dans les rues. Avec des milliers d’étudiants, d’enseignants,
des parents, des travailleurs, des futurs collègues, des jeunes, des vieux, des
filles, des garçons, des enfants, des pauvres, des riches, des Anglais, des
Français, des francophones, des allophones, des immigrants, des citoyens, des
voisins. Je suis sorti dans la rue, comme eux, pour exprimer mon mécontentement
face à la situation actuelle. Je suis sorti pour crier mon désespoir, pour dire
que ce n’est pas dans ce Québec que je veux vivre et élever mes enfants. Je suis
sorti pour faire valoir mon opinion et mes convictions les plus profondes. Je
suis sorti parce que devant le mépris de ce gouvernement c’est un devoir que
nous avons tous. Je suis sorti parce que les répressions politique, économique,
sociale et policière sont hors norme. Je suis sorti parce que, ce combat, les
générations suivantes seront heureuses que nous l’ayons mené. Je suis sorti
pour que je puisse dire à mes enfants : «Je me suis battu pour votre
éducation. Je me suis fait gazer, poivrer, insulter, invectiver, courir après
par l’anti-émeute et arrêter pour vous. Pour votre avenir».
Et
puis, le gouvernement répondit avec la loi 78. Le soulèvement gagna toutes les
franges de notre société. La «majorité silencieuse» sort à 20h00 chaque soir
pour taper sur des chaudrons. Les gens se parlent à nouveaux. Nos voix s’unissent
pour faire un tintamarre de demandes. Un brouhaha continu de notre
mécontentement collectif. J’espère que nous saurons canaliser cette colère, cet
espoir de démocratie que nous partageons dans un véhicule politique apte à
gouverner. J’espère que nous cesserons de parler de souveraineté afin de parler
des vrais problèmes québécois. J’espère que la gratuité scolaire, la nationalisation
des ressources naturelles, l’environnement, la pauvreté, la sur-tarification
des classes moyenne et pauvre, le système de santé universel et public, l’évasion
fiscale, la réintégration des détenus, la décriminalisation de la marijuana,
les énergies renouvelables, les communautés autochtones et j’en passe, feront
tous partis des revendications de ce Printemps Érable.
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